Quatre ans après un accident vasculaire cérébral massif en juin 2006, Marion Larat découvre que sa gynécologue, qui ne lui a pas donné d’autre choix que celui d’une pilule “mini-dosée”, aurait dû l’informer des risques d’accidents graves que ce mode de contraception peut provoquer. Grâce à de nombreux autres témoignages de femmes, elle lance l’alerte sur les pilules dites de 3e et 4e générations, qui causent deux fois plus d’accidents sans apporter une efficacité contraceptive supérieure aux pilules dites de première et deuxième générations. Entretien.
Le Lanceur : Dans votre livre, La pilule est amère, votre sœur évoque dès le début l’obsession de votre père quant à la responsabilité de la pilule de troisième génération dans votre AVC. Comment expliquez-vous qu’il était écrit “noir sur blanc” dans votre dossier, selon les mots d’un médecin, que votre AVC était dû à la prise de la pilule alors qu’aucun autre médecin ne vous en avait parlé avant ?
Marion Larat : Je ne sais pas, ce que je sais c’est que nous n’avions pas connaissance du dossier complet. J’étais en train de mourir, donc à ce moment-là mes parents étaient dans une autre urgence que de connaître les causes. Sur mon dossier, il était écrit que j’avais un facteur de risque (le facteur II de Leiden). Pour mes parents, il s’agissait un peu de charabia et ils avaient confiance dans les médecins. Quand mon père disait au médecin “peut-être que c’est la pilule”, ce dernier lui répondait que ce n’était pas possible puisque je ne fumais pas. Pour eux, c’était clair, il s’agissait juste d’un accident de parcours. Mais, quand je suis allée voir plus tard sur le site Transparence santé mis en place par le Gouvernement, qui permet de voir les liens financiers entre les médecins et les laboratoires, j’ai vu que ce médecin était complètement pourri par le laboratoire Bayer. Donc ce médecin va dire à des gens comme moi que mon accident n’a rien à voir avec la pilule. C’est vraiment monstrueux. Où est le serment d’Hippocrate là-dedans ? On nous a dit que la pilule seule, sans être associée à la cigarette, ne pouvait pas provoquer d’AVC, alors que c’était faux. Eux sont tranquilles, ils dorment sur leurs quatre membres valides et sont dorlotés par les labos. En découvrant l’association AVEP, nous nous sommes aperçus du nombre de victimes et du fait que les médecins ne faisaient pas remonter les informations alors que près de 10% de la population française est porteuse de risques connus d’hypercoagulation du sang. Pour elles, il est formellement interdit de prendre la pilule, mais souvent le test pour détecter ce risque, qui coûte 100 euros, n’est pas fait et les médecins n’en parlent pas. Dès que j’ai pris l’ampleur du désastre avec mes parents et ma sœur, c’était horrible. Ensuite, ce que j’ai appris sur la pilule de troisième et de quatrième générations, c’était le scandale sur le scandale.
À l’assemblée générale mondiale de Bayer, j’ai vite compris qu’ils n’étaient pas là pour parler de contraception et de liberté féminine mais de fric, de fric et encore de fric”
En France, contrairement à de nombreux pays européens, “le système consiste souvent à associer contraception et pilule et préconise la pilule dès l’âge de 12 ans en plus du préservatif”, écrivez-vous. Est-ce en train de changer ?
J’espère, mais les lobbys pharmaceutiques sont très puissants. Le nombre de jeunes filles qui ont été victimes ou qui sont mortes à cause de pilules ou de contraceptifs à base œstrogène – implants, patch, stérilet aux hormones – fait tourner la tête. Chaque année, il y a 3.000 victimes et un dixième d’entre elles en meurt. Alors, franchement, parler de la liberté de la femme grâce à la pilule… Pourquoi le préservatif n’est pas remboursé par la Sécurité sociale et par contre un médicament qui peut être dramatique pour les filles l’est ? On dit maintenant que les filles et les garçons, c’est pareil, mais à la fin ce sont toujours les filles qui portent les effets secondaires du fait de la contraception. Le mec n’a qu’à venir et tirer son coup. En 2007, les firmes pharmaceutiques refusaient toujours de fournir des preuves quant à l’amélioration des services rendus par ces pilules de “dernière génération”, mais il était recommandé de ne pas les prescrire en première intention. Mais cette recommandation était très peu communiquée, en témoignent les ventes de ces pilules, qui continuaient d’augmenter. Après ma plainte, les prescriptions et les ventes de pilules de troisième et quatrième générations ont diminué de 60 ou 70% et en 2013 il y a eu 20% de victimes en moins à cause de ces pilules. C’est une bonne chose, mais il faut rester très vigilant. Un stérilet en cuivre coûte 20 euros pour cinq ans. J’écris dans mon livre que, si toutes les filles choisissaient ce mode de contraception, les laboratoires auraient du souci à se faire, car il s’agit aussi d’intérêts financiers. Quand je suis allée à l’assemblée générale mondiale de Bayer, j’ai vite compris qu’ils n’étaient pas là pour parler de contraception et de liberté féminine, mais de fric, de fric et encore de fric.
Votre mère a notamment battu le pavé dans les années 1970 pour défendre la liberté sexuelle à travers l’accès à la pilule ou le droit à l’avortement pour toutes. Vous décrivez votre déception par rapport aux associations féministes qui vous ont tourné le dos et écrivez que votre mère “a honte de voir ses consœurs refuser de réfléchir au nom d’une lutte devenue icône. Une icône dont les produits dérivés, vantés par les stratagèmes du marketing, vont coûter plus cher à la Sécu et en vies humaines”. Pourquoi ?
Je suis vraiment en colère par rapport à cela. Quand j’ai demandé à des associations comme “Osez le féminisme” pourquoi elles ne nous ont pas soutenus, on me répondait: “La pilule, c’est un acquis.” Mais, quand je vois par exemple qu’elles font un caca nerveux parce que la couleur rose est trop associée à la femme, pour moi c’est le monde à l’envers, car quand des jeunes filles meurent à cause de certaines pilules, il n’y a plus personne. La pilule n’est pas du tout un instrument de libération. Moi aussi je croyais le contraire, jusqu’à ce que je m’effondre dans la salle de bains alors que j’étais en bonne santé, que je courais, etc. Les pilules de troisième et de quatrième générations étaient présentées comme “sans risque” alors qu’elles étaient encore plus dangereuses que les générations précédentes et n’étaient pas plus performantes en termes de contraception. J’ai eu le sentiment de me battre pour la liberté des femmes, pour qu’elles soient informées des risques qu’elles encourent. La liberté sexuelle est payée cher par les femmes. C’est plus tranquille pour les hommes. S’ils savaient à quel point les hormones peuvent être nocives, peut-être prendraient-ils leur responsabilités.
Les médecins qui évoquent l’inflation des IVG pour ne pas que la commercialisation de certaines pilules soit arrêtée prennent les filles pour des irresponsables”
Vous avez aussi été confrontée au milieu des gynécologues et à leur responsabilité dans cette problématique. Vous écrivez que “leur argument préféré est de considérer que l’arrêt de la commercialisation des pilules de troisième et quatrième générations provoquera une inflation phénoménale des avortements (IVG)”. Que pensiez-vous de cet argument quand il était évoqué ?
Quand j’ai porté plainte, beaucoup de filles ont effectivement arrêté la pilule et en même temps, une loi faisait que l’IVG était mieux remboursée par la Sécurité sociale. Au début, les IVG ont un peu augmenté avant de se stabiliser. Selon moi, ce n’est pas l’arrêt de la pilule qui provoque l’augmentation des IVG. Il ne faut pas prendre les filles pour des nunuches. Si elles pensent à arrêter la pilule, elles se tournent vers un autre type de contraception et/ou disent à leurs copains de mettre des préservatifs. Pour moi, les médecins qui évoquent cet argument prennent les filles pour des irresponsables. Et puis, quand on remplace les décès par IVG par des décès sous pilule qui passent inaperçus, sans compter les milliers de femmes handicapées ou traumatisées à vie chaque année, où est le progrès ?
Lorsque vous prenez la décision d’attaquer le laboratoire en justice, votre avocat vous prévient : “Si on s’embraque là-dedans, ce sera difficile, les médias vont s’intéresser à vous et les lobbys vont vous mettre une pression monstre.” Ç’a été le cas, vous avez reçu des pressions de la part des lobbys ?
En fait, pas vraiment. Dès que j’ai porté plainte, des gens de Bayer se sont intéressés à ma sœur via le réseau LinkedIn, mais elle n’a jamais répondu. Les médecins autour de moi ont beaucoup réagi, en disant que ce n’était pas possible que mon accident soit dû à la prise de la pilule et que, de toute façon, les facteurs de risque sont écrits dans la notice. Donc, en fait, si un médecin ne vous propose que la pilule comme option et que vous tombez malade, l’argument de défense est de dire que ce n’est pas sa faute puisque la patiente n’avait qu’à lire la notice… D’autres personnes ont aussi dit que j’étais “complètement catho” pour décrédibiliser ma démarche, qui consistait avant tout à éviter à d’autres filles de subir la même chose que moi.
La contraception, c’est aussi une question pour les mecs, qui sont encore souvent machos là-dessus”
Vous avez porté plainte pour atteinte involontaire à l’intégrité de la personne humaine, devant la justice civile et devant la justice pénale. Où en sont les procès ?
Il y a trois mois, mon avocat m’a dit que le procès au civil devait prendre fin à la fin de l’année 2016, puis en fait plutôt au premier semestre 2017. Personnellement, je pense que ce sera encore plus tard. Depuis dix ans, je vis avec 800 euros par mois, donc à un moment donné, il faut un peu se rebeller. Quant à la plainte au pénal, cela devrait être encore plus long, peut-être vingt ans. C’est le pot de fer contre le pot de terre ou David contre Goliath. Moi, je suis plutôt pour David contre Goliath, car à la fin c’est David qui gagne. Au civil, si je suis indemnisée par le laboratoire Bayer et pas par la CRCI (commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux), je serai vraiment contente. J’espère aussi qu’au pénal il y aura quelque chose.
Comment comptez-vous continuer le combat pour une contraception moins dangereuse pour la santé ?
Dans deux mois, je vais mettre au monde un petit garçon. Quand il aura 14 ans, je vais le prendre entre quatre yeux pour lui dire qu’il ne conduira certainement pas des jeunes filles à la mort ou au handicap. Je vais lui acheter des préservatifs à gogo, car pour moi, c’est aussi une question pour les mecs, qui sont encore souvent machos là-dessus. Les filles aussi doivent évidemment prendre en main leur propre sexualité, car aujourd’hui tout est médicalisé et entre les grands labos, les médecins véreux et l’État qui ne fait pas grand-chose, je trouve cela honteux.