Depuis 2012, le franchisé McDonald’s de quatre restaurants de Lyon et Vénissieux (Rhône) est en conflit ouvert avec Imani, un employé délégué syndical CGT. Une lutte avec le syndicat symptôme d’une gestion humaine critiquée par les employés.
“Quand Imani arrivait, il fallait de suite prévenir la direction. Il met son nez partout, c’est ce qui les dérangeait.” Élu délégué syndical en 2012, Imani est équipier, le poste le plus bas dans la hiérarchie des restaurants McDonald’s. Mais son rôle de délégué syndical agace la direction. “Avec Imani, c’était la première fois en dix ans dans l’entreprise qu’un délégué syndical faisait vraiment son travail : prendre le pouls de la vie au McDonald’s en discutant avec les salariés, regarder les plannings, les temps de travail…”, explique Pascal, ancien directeur du fast-food de Vénissieux. Depuis le 1er juin 2001, les quatre restaurants McDonald’s Guillotière, Sans-Souci, Grange-Blanche et Vénissieux constituent une unité économique et sociale, ce qui a permis la création d’une délégation unique du personnel. Fin 2009, l’ensemble des restaurants a été racheté par un nouveau propriétaire.
Il est vrai que le délégué syndical examine tout. “La situation dans nos restaurants n’est pas propice au bon travail, explique-t-il. Les horaires sont difficiles avec un salaire qui n’est pas honorable. Il y a aussi de la pression sur les salariés, en particulier les étudiants. On est régulièrement en sous-effectif. Les primes ne sont payées que si on accepte tout de la part de l’employeur. D’ailleurs, ces primes n’ont pas de critère précis d’attribution. C’est à la tête du client.” Par exemple, Imani demande que des taxis soient remboursés pour les équipiers qui finissent après 22 heures, comme le prévoit l’article 36b de la convention collective nationale de la restauration rapide. Une demande refusée par la direction. “Trop de frais, avance un ancien directeur de restaurant. Sur un restaurant comme Vénissieux, cela représentait presque 24 000 euros annuels.”
Un climat “grivois” au sein de l’entreprise
Les demandes du délégué syndical font très vite plus qu’embarrasser. En mai 2012, il est accusé de “harcèlement sexuel” par une employée. Protégé par son statut, son licenciement pour faute grave doit être validé par l’inspection du travail. La demande est envoyée le 11 mai, ainsi motivée : “des agissements et des paroles déplacées voire insultantes, essentiellement à connotation sexuelle, à l’égard de ses collègues féminines”.
Il m’a clairement dit qu’en tant que directeur du McDo, il se débarrassait de qui il voulait quand il le voulait et qu’il souhaitait que la CGT disparaisse de la table des négociations”
Au-delà de l’affaire personnelle, Imani y voit surtout “une entrave à la liberté syndicale”. Des propos confirmés par une ancienne employée : “J’ai eu une discussion lors d’un pot annuel organisé dans un bar par le franchisé. J’étais venu le voir pour lui demander ce qu’il se passait avec Imani. Je lui ai expliqué ce qu’il apportait au McDonald’s dans son travail syndical pour nos primes et bénéfices. Il a essayé de me convaincre qu’Imani faisait ça pour sa pomme et ses heures de délégation. Il m’a clairement dit qu’en tant que directeur du McDo, il se débarrassait de qui il voulait quand il le voulait et qu’il souhaitait que la CGT disparaisse de la table des négociations”. Contacté par Le Lanceur, le franchisé n’a jamais répondu à nos demandes réitérées d’entretien.
Une enquête “à charge”
La demande de licenciement du franchisé est rejetée par l’inspection du travail le 11 juillet 2012, au motif que “la teneur exacte des propos qui lui sont reprochés apparaît contradictoire au vu des différentes auditions […] et qu’il ressort de l’enquête que des propos à caractère sexuel sont régulièrement tenus par l’ensemble du personnel ainsi que par la direction elle-même ; que la direction a donc laissé perdurer un climat grivois au sein de l’établissement”. Le 9 septembre, Imani dépose une main-courante contre son employeur. “J’ai été agressé physiquement par le franchisé. Il est venu dans le restaurant le 8 septembre, il a pris une spatule et l’a mise dans mon ventre en me disant : Casse-toi, tu me casses les couilles !” explique-t-il. Entretemps, la direction fait appel auprès du ministère du Travail de la décision de l’inspection du travail. Nouveau refus. Elle s’adresse alors au juge administratif, lequel a débouté une nouvelle fois le franchisé, le 15 janvier dernier. Dans sa décision, l’inspection du travail estimait notamment que la direction avait mené “une enquête à charge”.
“Tout le monde est au garde-à-vous” !
Cette “enquête à charge” est confirmée par les témoignages de plusieurs salariés. “Sur l’affaire du harcèlement sexuel, j’ai été contactée par le directeur de l’époque, qui m’a demandé si Imani avait eu des mots déplacés envers moi. Je lui ai répondu : Certainement pas plus que toi”, explique une ancienne employée, qui a préféré garder l’anonymat. “La jeune femme qui a porté plainte contre Imani a dit qu’il avait tenu des propos déplacés envers elle. Ce qui est peut-être vrai, je n’en sais rien, je n’étais pas là. Mais ce qui est vrai aussi, c’est qu’elle a été promue manager deux jours plus tard”, poursuit l’ex-équipière.
La gestion autoritaire du franchisé fait l’objet de nombreuses critiques au sein du staff. “Le patron a un management militaire. Tout le monde est au garde-à-vous. Il n’y a jamais de bonjour de sa part ou de la part de ses superviseurs”, confie Rachid, assistant de direction, en procédure de licenciement depuis 2014. “Au travail, on n’est pas au Club Med, mais on n’est pas non plus à l’armée. Il y a autorité et autoritarisme. On ne demande pas à faire du social, mais seulement considérer la personne qui te ramène le chiffre. Le franchisé n’a pas une considération, ne serait-ce qu’humaine, pour ses salariés”, ajoute Léopold, ancien directeur du McDonald’s de Guillotière, licencié en 2010 après 10 ans dans la chaîne américaine mais seulement un an avec le franchisé. “La gestion humaine est déplorable ; pour virer quelqu’un, il le scrutait et montait des dossiers en exploitant la moindre faille”, renchérit Pascal, ex-directeur du restaurant de Vénissieux, lui aussi limogé en 2014. Son licenciement, comme celui de Léopold, a été jugé “sans cause réelle et sérieuse” par les prud’hommes.
Des dégâts humains
Pascal travaillait avec sa femme dans son restaurant de Vénissieux. Durant sa procédure de licenciement, cette dernière est revenue travailler après un congé maternité. “Elle a pris la misère, explique-t-il. Elle était surveillée en permanence, toujours quelqu’un derrière elle. Elle n’est restée que quatre mois. Cette pression était due à la procédure judiciaire en cours avec moi. Suite à ça, elle a eu un accident du travail : une porte d’entrée lui est tombée dessus. Elle ouvrait le magasin seule. Avant de prendre de ses nouvelles, les dirigeants du magasin ont d’abord vérifié les vidéos pour savoir si elle ne mentait pas. Elle a été en arrêt maladie et son médecin l’a finalement déclarée inapte à reprendre, à cause de la pression.”
Ils m’ont anéanti. Quand je le dis, je pèse mes mots. Ils m’ont anéanti. Ce qui me fait tenir, c’est que je suis resté moi”
Cette gestion fait surtout des dégâts humains. À 42 ans, Rachid n’a pour le moment pas retrouvé de travail. Quant à Pascal, “[le franchisé lui] a brisé dix ans de carrière au sein de McDonald’s”, résume-t-il. Et Léopold, étudiant étranger régularisé en 2002 grâce à son emploi chez McDonald’s, peine à rebondir : “J’ai commencé en bas de l’échelle chez McDo. Je n’ai pas volé ma place en tant que responsable. Ils m’ont anéanti. Quand je le dis, je pèse mes mots. Ils m’ont anéanti. Ce qui me fait tenir, c’est que je suis resté moi. Je n’ai plus rien, mais je suis moi. Je ne suis pas dans une démarche de revanche. Je suis prêt à dire à tous les jeunes que ce que j’ai appris chez McDo, je ne l’ai pas appris sur les bancs universitaires. Les pratiques en cours dans la franchise ne font que ternir l’image de McDo qui reste une enseigne honorable au-delà des idées reçues. Si je témoigne, c’est pour soutenir Imani, ça peut corroborer tout le combat qu’il mène. Parce qu’il est seul”, confesse-t-il, après avoir longuement hésité à nous rencontrer.
Imani travaille toujours au sein du restaurant de la Guillotière. Le 9 décembre 2015, il était convoqué pour un nouvel entretien préalable au licenciement, pour avoir “diffamé l’entreprise auprès de l’inspection du travail”. Un licenciement transformé depuis en simple mise à pied. Le 26 décembre, il est allé consulter le cahier de délégué du personnel du McDonald’s de Vénissieux. La direction lui a refusé l’accès et a appelé la police pour le faire partir.