Grande figure pacifiste de la minorité ouïghoure en Chine, Dolkun Isa fait sans doute toujours l’objet d’une notice rouge d’Interpol, demandant son extradition en Chine… alors qu’il a obtenu de longue date le statut de réfugié et même la nationalité allemande.
“C’est toujours injuste, mais lui ça l’est particulièrement. Il est on ne peut plus pacifiste, personne ne lui a jamais entendu prononcer un propos agressif. Mais Interpol l’a classé parmi les tout premiers “terroristes”. C’est fou !” La sinologue Marie Holzman n’en revient toujours pas de voir son ami Dolkun Isa paralysé dans ses déplacements internationaux par une notice rouge d’Interpol, qui demande son arrestation pour “terrorisme” depuis une vingtaine d’années, se faisant ainsi le relais zélé du gouvernement chinois. Loin d’être un terroriste, il nous confie d’ailleurs qu’il n’a “jamais soutenu l’usage de la violence, quel que soit l’objectif”. Dolkun Isa était le leader des manifestations des étudiants démocrates ouïghours en 1988 dans la région autonome du Xinjiang, qu’il préfère appeler le Turkestan oriental.
Le gouvernement chinois les dénonce comme terroristes et Interpol gobe ça comme ça !”
“Il y a de nombreux démocrates ouïghours recherchés par Interpol à la demande de la Chine. Comme il y a une vague terroriste au sein de cette minorité musulmane, le gouvernement chinois les dénonce comme terroristes, et Interpol gobe ça comme ça !” s’exaspère Marie Holzman. Malgré l’intervention de l’association Fair Trials, Dolkun Isa n’a aucune nouvelle d’Interpol, donc aucun moyen de savoir si cette notice, dont il a appris l’existence par le consulat américain de Francfort en 1999, est toujours active. “Je pense que oui”, confie-t-il, ajoutant qu’il a dû renoncer à une conférence en Inde en avril 2016, son visa ayant été annulé suite à des pressions chinoises. Il a été empêché de se rendre à des conférences internationales en Thaïlande en décembre dernier, en Corée du Sud l’année précédente, au Chili en 2012… “Je peux me déplacer librement en Europe, au Canada et aux États-Unis”, mais la notice rouge lui a valu trois jours de détention à Séoul en 2009.
Elle offre surtout selon lui un “prétexte facile aux pays qui ne veulent pas de moi, sans avoir à reconnaître que c’est pour éviter de contrarier la Chine”. Il s’inquiète par ailleurs des accords d’extradition signés par de plus en plus de pays avec la Chine, notant que “des Ouïghours ont été expulsés vers la Chine depuis quinze pays différents ces vingt dernières années, où beaucoup d’entre eux ont subi ensuite des condamnations injustes”. Naturellement, l’élection de Meng Hongwei à la présidence d’Interpol n’est pas pour le rassurer. “Cela va uniquement représenter un obstacle supplémentaire pour le progrès vers une dépolitisation d’Interpol”, relève-t-il, sans se défaire de son légendaire sens de la mesure.
La plupart des informations sont fournies par les États à Interpol, [donc] c’est très facile pour la Chine d’abuser le système”
Comment le contredire lorsqu’il estime “difficile de croire qu’Interpol ait mené une quelconque vérification sur son cas avant d’émettre la notice rouge”, rappelant qu’il a obtenu la nationalité allemande et que “le gouvernement allemand mène lui une enquête rigoureuse pour s’assurer qu’il n’accorde pas la nationalité à quelqu’un qui ferait l’objet d’un mandat d’arrêt légitime” ? À ses yeux, “parce que la plupart des informations sont fournies par les États à Interpol, c’est très facile pour la Chine d’abuser le système et de discréditer ainsi des militants pacifistes”. Dans ces conditions, il “ne croit pas qu’Interpol soit capable de respecter ses statuts”, lesquels lui interdisent toute intervention pour des motifs politiques, religieux ou ethniques.