Les réacteurs nucléaires arrêtés à l’automne pour subir des contrôles de sécurité ont redémarré à temps pour le pic hivernal de consommation électrique. Les résultats des examens devant prouver l’absence de danger n’ont en revanche pas été publiés. De quoi soupçonner des arrangements en matière de sûreté, pour plusieurs associations et chercheurs.
Les petits petons bien au chaud… En cette semaine de grand froid, les pannes de courant devraient être évitées. Prévoyante, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé EDF à redémarrer neuf des douze réacteurs nucléaires encore à l’arrêt. Les contrôles sur le réacteur 2 de la centrale du Tricastin ont par ailleurs été repoussés à février. Sur le réacteur 2 de la centrale de Civaux, ils ont été repoussés à mars. Cela alors que la teneur excessive en carbone dans l’acier des générateurs de vapeur de certains réacteurs les rend potentiellement vulnérables.
Un tiers du parc nucléaire hexagonal a dû être contrôlé à l’automne. Des études réalisées par l’exploitant lui-même, EDF, dont les résultats demeurent secrets. “Plusieurs réacteurs arrêtés pour contrôle ont déjà été relancés, ou doivent l’être prochainement, et deux arrêts sont différés. Pourtant, les réacteurs en question sont équipés de générateurs de vapeur suspects, qui ne satisfont pas aux meilleurs critères de sûreté”, rapporte le réseau Sortir du Nucléaire, par voie de communiqué. Pour Greenpeace, “il est impossible d’affirmer que les exigences de sûreté aient été remplies”. L’ONG considère donc que “ces réacteurs sont dangereux et doivent être maintenus à l’arrêt”.
Défaut de transparence
“Au niveau de la transparence, ce n’est pas du tout ça, déplore Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du Nucléaire. La décision de redémarrage n’est pas publique.” Pourtant, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) souligne “un effort de pédagogie” dans cette affaire : “Rien n’a été caché, les choses ont été dites en temps réel.” “Les informations relatives aux générateurs de vapeur dont l’acier présente une concentration élevée en carbone ont fait l’objet d’une information satisfaisante auprès du public depuis leur révélation le 23 juin 2016”, est-il consigné dans le rapport de réunion du 6 décembre.
L’ASN n’a toujours pas dévoilé les autorisations de redémarrage et les justifications techniques qui les accompagnent”
Mais quid des résultats des études ? Le public n’y a pas accès. “Nous n’avons aucun élément, il y a une absence de transparence”, raconte Charlotte Mijeon. “L’ASN n’a toujours pas dévoilé les autorisations de redémarrage et les justifications techniques qui les accompagnent, ni le détail des “mesures compensatoires” censées être mises en œuvre pour pallier la plus grande fragilité des pièces concernées”, déplore-t-elle. Même son de cloche à la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité). “Nous n’avons pas les résultats des contrôles”, abonde son président, le physicien Roland Desbordes.
De son côté, l’ASN dit ne pas savoir si elle publiera ces documents, mais tient à rassurer en précisant que ses agents sont “présents au moment des contrôles”. EDF se félicite pour sa part d’avoir “reçu toutes les autorisations de démarrage de l’ASN”. Mais devient laconique lorsqu’on s’enquiert de la possibilité de voir les justifications publiées. “Nous n’avons pas d’éléments spécifiques à vous indiquer, nous a sobrement répondu le département communication. À ce stade, il n’y a pas de publication de ces résultats.” Donc aucune contre-expertise indépendante possible.
Vague de froid
“L’exploitant fait les contrôles et l’ASN vérifie que les contrôles sont faits par l’exploitant et parfois s’appuie sur une contre-expertise de l’IRFN [Institut de radioprotection et sûreté nucléaire, NdlR], explique Roland Debordes. Mais ce n’est pas un expert indépendant, puisque c’est aussi l’expert de l’exploitant et de l’État, qui est lui-même actionnaire du nucléaire.” “Des expertises indépendantes, je n’en connais pas et à mon avis il n’y en a pas”, poursuit-il. Yves Marignac, de l’association Négawatt, confirme. “Il n’y a même pas d’indication sur le niveau d’information qu’EDF a transmis”, ajoute celui qui officie comme expert de la filière nucléaire pour l’agence Wise Paris.
S’il dit faire “confiance à l’ASN” – ou plutôt être “condamné à lui faire confiance” –, Roland Desbordes, de la Criirad, reconnaît que le gendarme du nucléaire “a une pression énorme sur ses épaules” et il ne sait pas “si elle y résistera”. Yves Marignac regrette cette décision de redémarrage, qui “fait explicitement référence à une demande du ministère de l’Ecologie”, si bien que l’on se retrouve selon lui “dans une situation où l’ASN autorise EDF à déroger à une règle qu’elle a elle-même fixée”.
Des pressions politiques par rapport à l’activité électrique hivernale”
Du côté du réseau Sortir du Nucléaire aussi, on soupçonne des “pressions politiques par rapport à l’activité électrique hivernale”. Un argument d’actualité avec la vague de froid qui s’abat sur la France en ce mois de janvier. “La sécurité de l’approvisionnement passe avant la sécurité nucléaire”, s’insurge Yves Marignac. L’ASN dément : “Si les réacteurs n’étaient pas en état de sûreté, ils n’auraient pas été relancés.”
Risque d’accident majeur
“Pour éviter tout problème d’approvisionnement, on achète énormément d’électricité à nos voisins ; et cela coûte très cher à EDF, renchérit Roland Desbordes. L’ASN pourrait céder à la pression et se trouve bien embêtée, car cela touche à sa mission de sécurité.” Car les générateurs de vapeur des réacteurs sont considérés comme des “éléments importants pour la sûreté” (EIS). “S’ils lâchent, il y a une rupture du circuit et c’est l’accident majeur à cinétique rapide, illustre Roland Desbordes, ce qui se traduit par une perte du confinement et un rejet rapide de radioactivité dans l’environnement.”
Il semble que le gendarme du nucléaire ne peut actuellement pas prendre de décision en toute indépendance”
Des “pressions” évoquées par Greenpeace, qui voit en ces redémarrages “un signal très inquiétant car il semble indiquer que le gendarme du nucléaire ne peut actuellement pas prendre de décision en toute indépendance”. Charlotte Mijeon déplore “un défaut de transparence que l’on peut étendre à l’ensemble de cette affaire”, faisant ici allusion à une autre affaire de défauts de fabrication au sein de la filière nucléaire, à l’usine Areva du Creusot. Des irrégularités aggravées de tentatives manifestes de falsification. Si bien qu’EDF ne fait aujourd’hui plus confiance à cette usine et ne lui a plus passé commande depuis avril 2015.