Alain Weill, patron du groupe Next Radio TV (BFM, RMC) espère un feu vert du CSA sur son projet de rachat de la chaîne Numéro 23 (officiellement contrôlée à 70 % par Pascal Houzelot) “avant l’été”, a-t-il indiqué à l’AFP. La méthode Coué, pourquoi pas ? Enfin un peu de gratuité dans un monde de brutes.
Le CSA a précisé le 3 juin que pour mener l’étude d’impact préalable à sa décision il auditionnerait d’autres chaînes, des organisations professionnelles, des auteurs et des producteurs, ainsi que des associations œuvrant pour la diversité dans les médias audiovisuels. Il examinera aussi l’actionnariat actuel de Numéro 23 : on lui souhaite bon courage, ça risque d’être compliqué, experts-comptables fortement recommandés !
“Je ne vois pas de raison juridique qui devrait créer des difficultés importantes, au regard des précédents”, a souligné Alain Weill. Cette affirmation volontariste est assez étrange, et même le juriste moyennement compétent ne peut qu’être interloqué. Passons sur le fait que la légalité, comme la probité, ne saurait être mesurée à l’aune du “pas vu pas pris”, ou du “puisque les autres ont fauté dans le passé, c’est à mon tour et on ne me dira rien” et prenons Alain Weill au mot en nous intéressant seulement aux “difficultés importantes” qu’il déclare ne pas voir.
Le bon patriote Ousmanov, fan de tatouage ethnique
Outre les nombreuses questions soulevées par Lyon Capitale dès l’attribution douteuse de ce canal à Pascal Houzelot, personne physique désargentée incapable de développer avec succès le moindre projet, outre la révolte des acteurs de la diversité, qui expliquent aujourd’hui avoir seulement servi d’alibi pour enrichir ce dernier et ses proches, outre, enfin, les protestations des patrons de TF1, M6 et Canal+, qui estiment que la revente d’une fréquence obtenue gratuitement relève de la “fraude caractérisée”… il serait intéressant de consulter le pacte d’actionnaires signé par Pascal Houzelot, ses quelques amis milliardaires du CAC 40 et le Russe Alicher Ousmanov, lesquels avaient évidemment ressenti le besoin irrépressible d’investir dans une chaîne française sans téléspectateurs, dont le programme phare est une émission de téléréalité américaine où il s’agit de tatouer des personnes handicapées sans trembler de l’aiguille.
1re question : Pourquoi ce fameux pacte d’actionnaires, signé dix mois après le lancement de Numéro 23 (soit en octobre 2013) n’a-t-il été envoyé au CSA que le 26 mai 2015, en dépit des demandes insistantes du régulateur ? Le facteur s’est-il égaré ? A-t-il fait un détour par Moscou ? Ou par une autre capitale ?
2e question : Ce pacte laissait-il par hasard apparaître que la chaîne était cogérée de fait par un oligarque russe au parcours pour le moins opaque, alors que la loi française interdit à tout opérateur extra-européen de détenir plus de 20 % du capital d’une chaîne de la TNT ?
3e question : Ce pacte d’actionnaires ne prévoyait-il pas explicitement la revente de la chaîne avec une date limite, par exemple en 2015 ?
Le bon patriote Sarkozy, fan de discrimination positive
Le fait que Pascal Houzelot se soit démené comme un beau diable auprès du CSA (et au final ait obtenu, grâce sans doute à son légendaire entregent) que le délai de revente d’une chaîne de la TNT n’excède pas deux ans et demi expliquerait bien des choses. Cela constituerait une 4e question tout à fait passionnante, que l’on pourrait par exemple formuler ainsi : La rapidité de la revente n’était-elle pas la condition sine qua non de l’obtention de l’autorisation d’émettre ? Ce doute, deux conseillers du CSA (sur neuf), l’ont eu et Rachid Arhab a même demandé que son pressentiment d’une juteuse (et fulgurante) opération financière soit dûment consigné au procès-verbal des délibérations du CSA. M. Boyon avait-il exaucé son vœu ?
5e question : Pourquoi un membre du CSA, deux jours avant l’audition du projet Urb TV, lui aussi axé sur la diversité, est-il allé trouver l’un de ses soutiens (en l’occurrence Yassine Belattar) pour l’inciter fortement à fusionner avec Numéro 23 ?
6e question : Des rétrocommissions étaient-elles prévues pour les personnes ayant favorisé l’obtention de la chaîne et, 7e question, une partie de la plus-value gigantesque prévue lors de la revente (90 millions d’euros !) financera-t-elle un jour une campagne politique, eu égard aux intérêts – sinon qualités – des divers acteurs du dossier ?
“Les critiques les plus violentes viennent de groupes historiques qui ont eux-mêmes racheté des chaînes. Ils ne veulent pas que de nouveaux acteurs fassent comme eux, et c’est la première fois qu’un nouvel entrant rachète un nouvel entrant”, a aussi déclaré Alain Weill à l’AFP. Ce qui nous amène à la 8e question : Quand un groupe possède déjà deux réseaux radiophoniques nationaux et trois chaînes de télévision (dont BFM depuis… dix ans) est-il encore un nouvel entrant ? Ou est-il déjà un groupe bien installé qui compte bien s’offrir une quatrième chaîne par un tour de passe-passe ?
Gardons les meilleures questions pour la fin : Pourquoi l’auteur de ces lignes s’est-il vu expliquer par Camille Pascal, Patrick Buisson et plus largement l’entourage proche de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, que Pascal Houzelot était assuré d’obtenir son canal… trois mois avant l’audition officielle au CSA le 8 mars 2012 ? Et pourquoi l’omniprésident a-t-il déclaré au même moment à Alain Weill, devant témoins et en pleine campagne présidentielle, lors d’une séance de maquillage à BFM TV : “C’est bon, Alain, arrête de pleurnicher, tu l’as, ta chaîne” ?
Allez… une 12e petite question pour la route (ou le chemin de Damas, l’avenir proche le dira) et parce que dans l’audiovisuel on aime bien les paraboles : Qui, d’Alain Weill ou de Pascal Houzelot, donnera à l’autre le baiser de Judas ?