Le Lanceur

Oasis d’Amour, l’association caritative qui veut “convertir des âmes à Christ”

@ Marie Jérôme

Alors que la métropole de Lyon vient de signer une convention avec l’association Oasis d’Amour, celle-ci est accusée de “prosélytisme actif” par trois des plus importantes ONG françaises.

“Dérive prosélyte (…) insupportable”, “détournements de denrées alimentaires”, “revente de dons”, questions sur les règles d’hygiène et de sécurité alimentaire, interrogations sur “la transparence complète des comptes”, sur des placements “sur des fonds de pension aux États-Unis”, ou encore sur des pratiques qui seraient “en contradiction totale avec le principe du conseil de l’ordre des médecins…” En avril 2015, les responsables locaux de trois des ONG les plus respectées en matière d’aide aux plus démunis ont alerté la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et la préfecture de région sur une situation qu’ils jugent “invraisemblable” et qui “pollue régulièrement les actions” de leurs réseaux respectifs. L’objet de leur colère : Oasis d’Amour, une association qui a pourtant su se construire une excellente réputation dans l’agglomération, depuis sa création en l’an 2000.

Prix et ambition

Réinsertion professionnelle, location d’appartements, marque de vêtements, épicerie sociale, l’association s’est donné à cœur d’“aider les plus défavorisés”. Près de “700 familles sont aidées chaque semaine” à l’épicerie sociale de Vaulx-en-Velin, selon la présidente, Anne-Marie Vincent-Girod. Depuis le mois d’octobre, les repas non consommés des fonctionnaires de la métropole de Lyon lui sont redistribués. L’objectif ? Lutter contre le gaspillage. C’est d’ailleurs la visée de l’amendement “Goulet” de la loi Macron, qui contraint les supermarchés à donner leurs invendus alimentaires aux associations. Une loi qui devrait permettre à Oasis d’Amour d’étendre son réseau, déjà bien fourni. Parmi ses partenaires, Carrefour, Casino, Super U, mais aussi le conseil régional, BNP Paribas, le Crédit Mutuel, Sanofi ou encore Areva. Régulièrement encensée dans la presse locale et lauréate de nombreux prix, comme celui du “mérite social” de l’Académie des sciences de Lyon ou le “Coup de cœur solidaire” de la fondation SNCF, elle est depuis 2006 reconnue “d’intérêt général et de bienfaisance”. Ce qui lui permet d’obtenir 30 000 euros de subventions publiques par la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS).

Mais, qu’il s’agisse de lutter contre le gaspillage ou d’aider les plus démunis, le courrier à la Miviludes met en doute les intentions de l’association : “Oasis d’Amour n’a-t-elle pas d’autre ambition que de convertir ses bénéficiaires et ses bénévoles ?” Parmi les éléments qui justifient cette interrogation, une vidéo que nous nous sommes procurée, dans laquelle Anne-Marie Vincent-Girod explique ouvertement : “La finalité d’Oasis d’Amour, c’est de gagner des âmes à Christ.” Filmée lors d’une table ronde à l’Église évangélique l’ABRI-vcf (Saint-Étienne), dont elle fait partie, elle ajoute que sa plus grande réussite c’est Abder et Youssoufa, “qui étaient de foi musulmane et qui ne jurent désormais que par le Christ, le Christ, le Christ !” Elle ajoute même, à l’intention des membres de cette Église évangélique : “N’ayez pas peur d’ouvrir le bénévolat à des personnes qui ne sont pas forcément membres de l’ABRI, parce que ce sont en fait des âmes à gagner à Christ (…). On sait qu’un jour ce sera leur saison de conversion.”

“Le noyau de l’association c’est l’évangélisation”

Si rien n’affiche au sein d’Oasis d’Amour un quelconque dessein religieux, pas même dans les statuts déposés en préfecture, sur le site Internet de l’Abri-vcf il est effectivement inscrit que l’Église s’engage avec Oasis d’Amour pour “réhabiliter le Royaume de Dieu”. Promesses de guérison par la prière, rencontres surnaturelles ou voyages prophétiques, cette Église évangélique de Saint-Étienne a tous les attributs de l’évangélisme radical. Doit-on en déduire qu’Oasis d’Amour se sert de son statut d’association caritative pour recruter des fidèles ? “Mais pas du tout !” nous répond Anne-Marie Vincent-Girod, qui assure que l’expression “gagner des âmes à Christ” signifie simplement prier pour eux.

La dimension prosélyte d’Oasis d’Amour ne fait pourtant aucun doute pour Jess Naranjo, ancien bénévole. “Le dimanche, elle essayait par tous les moyens de me traîner à l’église et je me sentais puni si je n’y allais pas, confie-t-il. Il fallait aussi prier à chaque fois qu’on démarrait l’association, prier pour remercier Dieu.” Pour lui, “le noyau de l’association, c’est l’évangélisation”. Un autre ex-bénévole, qui préfère garder l’anonymat, renchérit : “Si vous n’y adhérez pas, vous êtes exclu de l’association.” L’exclusion, c’est d’ailleurs ce qu’a vécu Jess, qui avait mis en place le pôle de réinsertion professionnelle. Lui consacrant six jours par semaine, à hauteur de dix heures par jour, on lui avait promis le poste de responsable. Mais Anne-Marie Vincent-Girod a finalement préféré embaucher le pasteur d’une Église évangélique à Décines. “Après réflexion, je me suis dit que la seule raison pour laquelle elle ne m’avait pas choisi, c’est que je n’étais pas chrétien”, conclut alors Jess.

À l’épicerie sociale, l’obsession religieuse est flagrante. Comme un psaume, ceux qui sont toujours en activité récitent les mêmes mots pour décrire leur présidente : c’est une “dame de cœur”, “avec beaucoup de compassion” et “une très belle âme”. Yolande nous livre même : “C’est presque quelque chose de divin, c’est comme si on était tous ses enfants.” Quant à Brigitte, embauchée depuis peu, elle avoue s’être rapprochée de Dieu depuis son arrivée : “Avant, je n’y avais jamais pensé, mais ici c’est tellement fort…” Gilbert Klein, le président du Cercle laïque pour la prévention du sectarisme (CLPS), travaille en collaboration avec la Miviludes et a déjà eu affaire à des cas similaires. “En Franche-Comté, des Églises évangéliques se servaient d’associations d’aide aux personnes en difficulté pour recruter des membres”, se souvient-il.

Un épais brouillard sur les comptes de l’association

Les signataires de la lettre interpellent aussi la Miviludes sur la “transparence des comptes, des statuts, des assemblées générales, des conseils d’administration et la présidence du docteur Anne-Marie Vincent-Girod”, qui ferait un million d’euros de chiffre d’affaires par an. Cette dernière répond n’en avoir “aucune idée” : “Ce n’est pas moi qui m’en occupe”, déclare-t-elle. Sur le site Corporama, base de données des sociétés commerciales, le chiffre d’affaires d’Oasis d’Amour se situait en 2013 entre 1 et 2 millions d’euros. Jean et Jacqueline Garcia, anciens bénévoles, se souviennent d’une comptabilité approximative, avouant avoir “un peu fermé les yeux au début, car il y avait cet aspect humanitaire et on lui faisait confiance, c’était notre médecin traitant depuis des années”. Lorsque Jean adresse une lettre à la présidente, lui expliquant qu’elle “ne devrait pas décider de tout, ne pas signer tous les chèques et que les décisions du conseil d’administration devraient faire l’objet d’une lettre d’information aux membres”, il est renvoyé de l’association ainsi que du cabinet médical. Jess Naranjo a connu le même sort. Lui avait déjà monté deux structures associatives, avait à cœur d’aider Anne-Marie Vincent-Girod et pensait que toutes ses incohérences comptables étaient une simple méconnaissance du système associatif : “J’ai listé tout ce qu’il fallait corriger dans les plus brefs délais car, s’il y avait un contrôle, on ramassait tous.” Mais, face à cette remarque, “elle est devenue hystérique, m’a hurlé de me taire, et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’elle était au courant de tout”, raconte Jess, qui la considérait comme “une sœur” et ne s’en remet toujours pas : “Je ne sais pas comment elle en est arrivée là, je pense que l’argent l’a corrompue.”

Plus proche d’un hard-discounter

Mais c’est surtout le mode de fonctionnement d’Oasis d’Amour qui interpelle. Car l’association ne redistribue rien gratuitement aux plus démunis. Son local de Vaulx-en-Velin, à l’image de ses autres implantations, ressemble à un hard-discounter où l’on trouve de tout à prix cassés : la bouteille de Coca-Cola est à 1 euro, les 200 g de foie de bœuf à 0,89 euro, les boîtes de lait en poudre 3e âge à 8 euros, mais on trouve aussi un téléviseur meuble inclus à 150 euros, des optiques d’appareil photo à 100 euros, des tables à 40 euros, des vêtements Cacharel, Jacadi ou 1,2,3 entre 5 et 25 euros, un range-CD à 6 euros et même des échantillons de crème hydratante ou de confiture portant la mention “Interdit à la vente” ou “Ne peut être vendu” revendus entre 0,5 et 2 euros… “À l’époque où j’y étais, Anne-Marie nous faisait recouvrir ces mentions au marqueur et, lorsqu’il y avait des contrôles, elle cachait tout”, raconte Jess Naranjo.

Si Oasis d’Amour n’est pas la seule association à fonctionner selon le principe d’une “épicerie sociale”, les banques alimentaires préconisent toutefois de ne pas excéder 10 % du prix du commerce. Or, chez Oasis d’Amour, les prix avoisinent 30 à 50 % de la valeur marchande. Parmi les produits non alimentaires que l’on retrouve chez Oasis d’Amour, il y a ceux de l’Agence du don en nature (ADN), une association qui redistribue les invendus d’une centaine d’entreprises. Celle-ci s’engage avec les épiceries sociales à revendre aux bénéficiaires les produits entre 10 et 15 % de leur valeur initiale. D’après nos informations, Oasis d’Amour revendrait aussi des produits achetés par palettes à des déstockeurs. Autant de pratiques qui s’apparentent plus à un hard-discounter et qui ne correspondent pas à l’éthique des associations historiques en matière d’aide aux plus démunis. D’où leur colère et leur lettre à la Miviludes. D’où aussi, semble-t-il, l’éviction d’Oasis d’Amour du réseau de la Banque alimentaire du Rhône depuis 2012. Mais cette péripétie n’a manifestement pas empêché l’association de poursuivre son activité d’épicerie solidaire en trouvant d’autres “fournisseurs” et donateurs directs. L’association ne cesse de s’agrandir, sa présidente envisageant entre autres l’ouverture d’un salon de coiffure. Dans l’espoir d’accroître encore le cercle des bénéficiaires… et des “âmes à convertir à Christ” ?

Quitter la version mobile