L’ampleur inédite des révélations est une bonne nouvelle pour ceux qui ont notamment œuvré à porter le sujet de l’évasion fiscale à l’attention du plus grand nombre, comme le professeur Denis Dupré ou le député Nicolas Dupont-Aignan. L’enquête s’attaque frontalement à la finance internationale en remettant en question les paradis fiscaux, l’opacité du milieu, mais aussi les optimisations fiscales pratiquées par les entreprises.
Les Panama Papers, ce sont 11,5 millions de documents qui touchent ou mêlent des fortunes et des entreprises du monde entier. “Imaginez qu’il s’agit d’un seul cabinet qui fait des filiales offshore à droite à gauche, mais il y en a des dizaines comme lui. Même s’il était peut-être un peu leader, Mossack Fonseca n’est pas le seul cabinet du Panama ni surtout du monde”, explique Denis Dupré, ancien banquier désormais enseignant-chercheur en finance et éthique à l’université de Grenoble.
En 2013, le député Nicolas Dupont-Aignan publie un rapport à l’Assemblée nationale : “Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes”. Ce rapport étant légèrement édulcoré au goût du député, il poursuit par la publication d’un livre plus virulent où il dresse les grandes formes d’évasion fiscale : fraude des personnes (notamment des grandes fortunes), “optimisation fiscale” des entreprises et “Etats voyous” comme le Panama. Pour ce défenseur d’un Etat souverain, l’envergure des combines opaques et compliquées pour transférer l’argent dans les paradis fiscaux est d’abord le visage d’une mondialisation débridée et d’un affranchissement de toutes les règles de la part des élites : “Le problème de fond qui est révélé, c’est l’oligarchie, son amoralité et son affranchissement de tout respect du peuple. Tous ces gens n’appliquent plus les règles qu’ils imposent aux autres, c’est ça qui est insupportable. Tout est organisé pour l’évasion fiscale. Il faut faire péter le système.” Les avancées françaises en terme de lutte contre la fraude, “infimes par rapport à l’ensemble du mal”, seraient loin d’être à la hauteur des enjeux. “En France, c’est l’inverse des mailles du filet, les petits poissons ne passent plus, mais les gros passent toujours”, poursuit le président du parti Debout la France.
Quand le ministre du Budget torpille un amendement sur la transparence vis-à-vis des citoyens
Dans la loi Sapin II pour lutter contre la corruption, Denis Dupré regrette qu’aucune mesure n’envisage la publication de données : “L’amendement était passé, mais le ministre du Budget, Christian Eckert, l’a fait revoter. Le résultat ne lui plaisait pas, donc on fait une suspension de séance. Pression externe ou changement d’avis extrêmement rapide, quelques députés socialistes quitteront l’hémicycle pour ne pas avoir à voter, on en réveille un autre à 1 heure du matin qui est le spécialiste pour signer tous les trucs pour les lobbys du tabac et du coup, hop : il n’y a plus de transparence pour les citoyens.” Denis Dupré compte désormais sur le député Europe Ecologie-Les Verts Eric Alauzet pour porter un amendement sur la publication des données qui soit “correct”.
Cette loi vise également à instaurer un statut pour les lanceurs d’alerte afin de tenter de protéger les citoyens qui révéleraient des informations dans le cadre d’un intérêt général. Le cas le plus parlant est celui de Stéphanie Gibaud, à l’origine des révélations du scandale UBS. “C’est une honte ce qu’on lui a fait : elle a rapporté des milliards à la France et on ne fait rien pour elle”, déplore Nicolas Dupont-Aignan, qui l’avait choisie comme tête de liste à Paris pour les dernières élections régionales. Sans emploi et en grande difficulté financière, l’ex-responsable communication de la banque ne sait plus vers qui se tourner pour s’en sortir. Concernant les Panama Papers, la source du cabinet Mossack Fonseca est restée anonyme pour préserver sa sécurité.
C’est le moment où l’on peut mettre la pression sur les optimisations fiscales des entreprises
L’universitaire grenoblois Denis Dupré est à l’origine de la pétition “Stop évasion fiscale” et sera reçu cette semaine par le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici. Le 12 avril, la Commission européenne doit annoncer si les données qui vont s’échanger entre les fiscs seront accessibles ou non aux citoyens. Dès 1789 et la Déclaration des droits de l’homme, l’article 14 précise que tous les citoyens doivent pouvoir suivre l’impôt et son recouvrement. Une transparence essentielle qui fait aussi partie de la Constitution française de 1958. Mais cela, “on l’a scandaleusement oublié, déplore Denis Dupré. On exige que ce ne soit pas seulement le fisc qui ait accès aux données des entreprises sur leurs filiales à l’étranger mais aussi les citoyens. Il y a eu un peu cela sur les banques, et rien qu’avec les données publiques de 2014, des ONG ont pu faire des rapports pour révéler les dysfonctionnements. Si une banque française a une filiale aux Bermudes qui fait un milliard de bénéfices avec trois employés, c’est qu’il y a un bug.” Pour Denis Dupré, l’évasion fiscale des entreprises, très souvent légale, représenterait 60 milliards d’euros par an en France, donc l’équivalent de près de “3 millions de fiches de paye”. Il rappelle également que “le plan Hôpital de 2017, c’est supprimer 22.000 postes d’infirmières en France. C’est le moment où on peut arriver à faire pression : il y a la crise, tous les budgets sont à zéro, les déficits du pays ont explosé… Quand tout va bien, qu’il y ait de la corruption, tout le monde s’en fiche pourvu que chacun ramasse un peu, mais on est arrivé à un tel niveau que ceux qui sont exclus de ce système ne le supportent plus”.