Député PS d’Ardèche, Pascal Terrasse appartient au courant des réformateurs, à l’aile droite du Parti socialiste. Proche d’Emmanuel Macron, il a été rapporteur parlementaire sur l’économie collaborative, plus communément appelée l’ubérisation de l’économie. Il regrette l’écart entre le fonctionnement actuel de l’économie et les règles qui l’encadrent.
Le Lanceur : La loi El Khomri va-t-elle créer des emplois, ce qui était son objectif initial ?
Pascal Terrasse : La première version aurait pu. La seconde ne le permet pas. La version amendée est une loi qui a pour objectif de satisfaire aux demandes des organisations syndicales. Elle améliore le sort des salariés à travers l’élargissement du compte personnel d’activité. Mais les conditions ne sont pas réunies pour que les entreprises recrutent. Quand un chef d’entreprise a un carnet de commandes instable pour recruter, il lui faut être certain de pouvoir donner un emploi dans la durée. Je suis dubitatif sur ce texte. Il aurait été préférable d’installer un système qui permet de licencier plus facilement. Mais pour les organisations syndicales, ce n’était pas possible, car les contreparties à leur proposer n’étaient pas là.
Vous dites qu’il est difficile de licencier, mais en France, entre les ruptures transactionnelles et les licenciements, un million de salariés ont été licenciés l’an dernier…
Il est possible de licencier, mais c’est coûteux. Si vous êtes une entreprise du CAC 40, c’est facile. Mais dans une PME de 15 salariés, c’est plus difficile, car les sommes sont considérables. J’ai eu à licencier un salarié pour faute grave et cela m’a coûté 120 000 euros. Notre économie compte beaucoup de petits employeurs qui aujourd’hui créent des CDD, car ils ne sont pas certains de pouvoir garder des salariés dans la durée. Le CDD est la pire des choses : il précarise les jeunes. C’est pourquoi j’étais favorable à la création du contrat unique de travail. Il ne faut pas verser dans le romantisme politique : il y a aujourd’hui une vraie crainte des employeurs. Cette réforme du Code du travail aurait dû être faite après l’élection présidentielle. En fin de quinquennat, chacun reste sur ses postures et à la fin, on ne va pas assez loin. L’activation des dépenses passives du chômage nous coûte 30 milliards d’euros par an. Et la situation va s’aggraver : la numérisation de la société va supprimer une série d’acteurs. La transition numérique va détruire beaucoup d’emplois dans les années à venir. Le pic du chômage est à venir. On peut espérer que notre pyramide des âges va l’atténuer. Nous allons avoir un déficit d’emploi. C’est pour cette raison que je milite pour le revenu universel d’existence. Il va nous falloir trouver une solution. Elle peut passer par du bénévolat. L’emploi salarié comme nous l’avons connu est derrière nous. Nous devons rompre avec les politiques des 40 dernières années. En faisant, en France, le choix du travail bien rémunéré, nous avons aussi fait le choix du chômage. Notre pays a protégé ses insiders, ceux qui arrivent à s’insérer sur le marché du travail, mais laisse les jeunes et les seniors hors de toutes activités. Sur nos 22 millions d’actifs, 6 millions de personnes qui sont sur un secteur tendu du marché de l’emploi s’installent dans un chômage durable.
Comment expliquez-vous que cette réforme du Code du travail ait cristallisé autant de mécontentement ? Comprenez-vous que le postulat d’assouplir les règles pour les chefs d’entreprise au détriment des salariés puisse choquer à gauche ?
La gauche ne s’est pas historiquement construite sur le salariat. Elle s’y est opposée en considérant, au commencement, que c’était une aliénation des forces laborieuses. C’est Karl Marx qui a amené la gauche sur cette logique. Nous avons changé de millénaire. Les formes de travail d’aujourd’hui et de demain ont changé. Nous ne sommes plus au temps des masses laborieuses. L’ouvrier a besoin d’être protégé, mais cela passe par plus de travail. Les 35 heures ne lui ont pas profité. Il faut arriver à créer des emplois durables pour tous. Ça me ronge de voir qu’il y a 18% d’inactifs dans la la classe populaire. Comment fait-on pour partager la richesse produite dans le monde avec moins d’emploi. Passer aux 32 heures voudrait dire une baisse de revenus pour les salariés. Et puis avec 35 heures, nous avons déjà l’un des plus bas taux horaires de travail. L’enjeu est de fluidifier le marché du travail. Tout le traitement social du chômage effectué ces dernières années n’a pas eu l’effet escompté. Je crois aussi que le monde du travail est une forme d’émancipation.
Vous avez été rapporteur du texte sur l’ubérisation de l’économie. Avec ces nouvelles formes de travail n’y a-t-il pas une concurrence déloyale de l’emploi salarié classique et qui peut s’émanciper des contraintes du Code du travail ?
Je préfère parler d’économie collaborative que d’ubérisation. Je porte un regard dur sur cette économie. Je suis contre cette idée de tirer vers le bas un prestataire. Il faut faire converger tous les droits sociaux. Il n’est pas normal qu’un autoentrepreneur puisse voir ses contrats coupés du jour au lendemain. La question de la responsabilité sociale doit être posée : l’accès au logement, la retraite, la précarisation. Il faut s’adapter à ces nouvelles formes de salariat, mais sans créer des emplois low-cost. Mais je remarque aussi que sur le 1,1 million d’autoentrepreneurs, seuls 10% dégagent un revenu supérieur au SMIC. Beaucoup de gens ont par ailleurs une activité rémunérée avec un statut. Mais il faut effectivement prendre en compte que des employeurs peuvent se servir de ce statut pour ne plus avoir d’obligations sociales. C’est possible même si des freins ont été mis. Les taxis Uber que j’ai rencontrés m’ont expliqué exercer cette activité dans l’attente d’un travail salarié qu’ils ne trouvent pas. C’est pareil pour les micro-entrepreneurs, c’est un moyen pour les jeunes de se mettre le pied à l’étrier.
La loi travail prévoit un allègement de certaines obligations sur le temps de repos quotidien, la modulation de la durée de travail. Pourquoi ces normes doivent-elles évoluer ?
Notre code du travail est archaïque par rapport aux entreprises actuelles. Il est parfait pour les métiers de chaudronniers ou de mineursIl a été créé pour l’industrie, mais ne s’adressent pas aux emplois créés au XXIe siècle. Une modification du Code du travail devrait s’appliquer aux emplois d’aujourd’hui et de demain. Je prône le télétravail, mais le Code du travail ne dit rien sur ce volet : il n’y a pas de droit à déconnecter, d’obligation de rassembler les employés une fois par semaine. En ne faisant rien, la situation des salariés se dégrade puisque les choses s’organisent à leur détriment. Je ne souhaite pas un affaiblissement des droits du salarié, mais des droits nouveaux au vu de la mutation de l’économie. Le Code du travail a été très utile pour les formes industrielles de travail, mais ne peut-on pas imaginer un ouvrage qui s’adapte à notre société nouvelle. Dans des métiers à l’activité saisonnière, comme par un exemple un bijoutier, les salariés savent qu’ils devront pendant les deux mois précédant Noël fournir plus de travail. Ils en ont conscience. Il faut laisser respirer les entreprises. Je suis pour une société horizontale. Il faut de nouvelles formes de gouvernance. La France ne peut pas marcher au même pas décidé depuis Paris. On a beaucoup parlé de la frilosité ou de la perversité des patrons, mais le vrai sujet politique est celui de la financiarisation des entreprises ou de leur actionnariat. Les banques ne jouent pas leur rôle en matière de prise de risque. C’est un sujet majeur et personne ne se retourne vers elles.
Le parti pris de donner plus de flexibilité aux patrons passe d’autant plus mal que les promesses sur le million d’emplois n’ont pas été tenues après l’allègement de leurs charges ?
Le CICE a permis de leur redonner des marges et d’enfin réinvestir. Il leur a permis de s’attaquer à des marchés à marchés étrangers. J’entends le débat sur la politique de l’offre. Mais elle n’aurait pas de sens aujourd’hui, car une relance par la consommation ne profiterait pas à nos entreprises françaises. Il faut créer les conditions pour que nos sociétés puissent être en position d’en profiter. Nous aurions du aller plus loin sur la réforme du Code du travail. Mais comme nous sommes en fin de quinquennat, la réforme n’était pas vraiment possible. Les postures l’ont emporté, mais le conservatisme ne marchera pas. Le diagloque social a fonctionné. Il a amené un compromis. Nous faisons des lois qui avancent à petits pas. Le temps politique est très lent, mais malheureusement, le temps économique est très rapide.