Afin d’éclairer les électeurs à propos du “manque de cohérence entre les revenus et le patrimoine déclarés” par Emmanuel Macron à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’association Anticor a usé pour la première fois de son habilitation à saisir cette dernière, pour lui demander de “vérifier le caractère exhaustif, exact et sincère” de la déclaration du candidat d’En Marche. Jean-Christophe Picard, le président d’Anticor, détaille la démarche. Entretien.
Le Lanceur : Les déclarations d’intérêts et de patrimoine d’Emmanuel Macron témoignent de revenus de plusieurs millions d’euros mais d’un patrimoine net de seulement 200.000 euros. Pourtant, une source proche du dossier a affirmé à l’AFP que ces déclarations avaient été contrôlées à deux reprises, en 2014 puis en 2016…
Jean-Christophe Picard : C’est vrai, mais quelles suites ont été données à ces contrôles ? Mettre des déclarations en ligne, c’est très bien, mais si ces dernières posent question, il est nécessaire de confirmer que tout va bien pour éteindre les polémiques, ou au contraire de communiquer les suites qui ont été données dans le cas où ces déclarations posent effectivement problème. Nous ne demandons pas d’informations qui relèvent du secret professionnel ou de la vie privée d’Emmanuel Macron, mais nous souhaitons que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique nous confirme que des explications ont été données à propos des interrogations légitimes que suscitent ses déclarations d’intérêts et de patrimoine.
Comme les élections approchent, il est nécessaire pour les électeurs de savoir si la HATVP n’a plus d’observation à faire sur ces déclarations ou si elle a saisi l’administration fiscale ou le parquet. L’idée est soit de confirmer que des explications ont été données et qu’elles sont satisfaisantes, comme ça les électeurs sont informés avant l’élection, soit qu’il y a des interrogations qui persistent, auquel cas les électeurs en tireront les conséquences. Nous voulons que les gens soient éclairés, que ce soit en bien ou en mal. À notre niveau, nous n’affirmons rien, nous disons seulement que des questions se posent et nous souhaitons un peu de transparence sur ce que la Haute Autorité a fait précisément après avoir eu connaissance de ces déclarations.
La transparence ne sert à rien s’il n’y a pas de moyens d’action qui suivent”
Le jour même de la saisie de la HATVP par Anticor, Emmanuel Macron s’est expliqué dans les colonnes du journal La Croix : “Comme banquier d’affaires, j’avais le statut d’indépendant. J’ai donc payé, sur le montant brut de ma rémunération, des cotisations sociales patronales, salariales, puis l’impôt sur le revenu. Ces cotisations ont augmenté et frappé mon dernier revenu de référence, au point que je ne gagnais plus assez pour payer mes impôts !” Est-ce un hasard du calendrier, selon vous ?
Je ne pense pas que ce soit lié, car nous ne sommes pas les premiers à évoquer les interrogations liées à ses déclarations, il y a eu des articles dans Le Monde et sur Mediapart. Je pense qu’Emmanuel Macron a fini par comprendre qu’il devait s’exprimer là-dessus. Si ce sont des remboursements de prêts comme Emmanuel Macron l’évoque également, ce sont des documents faciles à transmettre et on ne voit alors pas pourquoi la Haute Autorité ne communique pas sur les suites. Que M. Macron dise que tout va bien, c’est tout à fait normal, mais forcément nous avons plutôt tendance à croire la Haute Autorité. Si cette dernière nous dit qu’ils ont demandé tous les détails et qu’ils les ont eus, c’est très bien, car nous faisons confiance à la Haute Autorité. Mais il faut que ce débat soit tranché.
Cette saisie a-t-elle vocation à demander à aller plus loin dans les démarches de transparence ?
La transparence ne sert à rien s’il n’y a pas de moyens d’action qui suivent. Car effectivement les autorités compétentes peuvent, si elles détectent des anomalies, se saisir elles-mêmes. Dans le cas contraire, si elles n’en détectent pas, les citoyens ou les associations peuvent agir. Tout cela fait partie de la transparence et crée une certaine vigilance et une saine pression sur les élus pour qu’ils respectent les règles. Normalement, l’intérêt de la déclaration de patrimoine est de voir la variation du patrimoine pendant la durée du mandat.
Pour M. Macron, le souci est que, dès le départ, les déclarations d’intérêts et de patrimoine ont été fournies le même jour et qu’elles posaient question. L’autre souci, c’est que lorsque la déclaration de patrimoine de M. Macron a été rendue publique, en janvier dernier, la déclaration précédente de patrimoine avait disparu, alors que l’intérêt de ces déclarations est bien d’en avoir deux pour les comparer. La HATPV respecte la loi, qui fait qu’aujourd’hui, lorsqu’on a accès à la déclaration de patrimoine “de sortie”, la déclaration “d’entrée” n’est plus là. De plus, la dernière déclaration a été en ligne pendant moins de deux mois. Car, si la loi dit que la déclaration de sortie n’est plus publique au bout de six mois, elle ne donne pas de date de mise en ligne.
Il y a quand même des progrès à faire, à la fois sur la mise en ligne des déclarations d’intérêts et de patrimoine et sur les suites que la Haute Autorité réserve. Quand on est en période électorale, il faut quand même que les gens aient des informations avant d’aller voter.
Si personne ne fait rien et que nous arrivons à déclencher une enquête, comme dans l’affaire des sondages de l’Élysée, il y a un intérêt”
Le fondateur d’Anticor, Éric Halphen, a annoncé son soutien à Emmanuel Macron. Pourquoi avoir saisi la HATPV sur la déclaration d’Emmanuel Macron lorsque des affaires égratignent François Fillon et Marine Le Pen ?
Nous avons la possibilité de saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, donc nous l’utilisons. Pour l’affaire qui concerne François Fillon et celle qui concerne Marine Le Pen, les autorités compétentes fonctionnent plutôt bien. Au niveau européen, il y a eu un bon contrôle des attachés parlementaires, et au niveau français la justice s’est saisie assez rapidement du dossier. Notre action est intéressante lorsqu’elle apporte une plus-value. Si personne ne fait rien et que nous arrivons à déclencher une enquête, comme dans l’affaire des sondages de l’Élysée, il y a un intérêt. Lorsque les autorités compétentes et légitimes agissent, on s’en félicite.
Le problème à propos des déclarations d’Emmanuel Macron, c’est que ceux qui ont interrogé la HATVP n’étaient pas agréés pour le faire et n’ont pas eu de réponse très satisfaisante. Nous espérons avoir une plus-value sur la réponse, car nous sommes la première association à saisir la HATVP.
Concernant Éric Halphen, il n’est plus membre d’Anticor et il a tout à fait le droit de soutenir un candidat. Nous ne sommes pas contre les engagements politiques, surtout lorsqu’une personne n’est plus membre d’Anticor et n’engage absolument pas l’association. Anticor ne soutient aucun candidat et évidemment, même si des membres soutiennent tel ou tel candidat, cela ne veut pas dire que l’association fait de même. Il n’y a donc aucun problème à ce qu’Éric Halphen soutienne Emmanuel Macron dans sa candidature à la présidentielle.
D’ailleurs, nous ne disons pas qu’Emmanuel Macron a commis un délit, mais nous disons que cela ne sert à rien de mettre en ligne des déclarations, de constater qu’il y a des soucis et de ne pas répondre aux interrogations. Nous voulons juste faire un pas de plus vers la transparence, celle de la procédure qui a suivi la réception des déclarations.