Début mars, la ville et le canton de Genève ont déposé une plainte contre X au pôle Santé du tribunal de grande instance de Paris. Elle vise la centrale nucléaire du Bugey pour mise en danger délibérée d’autrui et pollution des eaux. Les autorités genevoises ont associé des riverains français à leur démarche. L’état de la centrale, située à 70 kilomètres de Genève, inquiète Lisa Mazzone, conseillère nationale de l’Assemblée nationale fédérale suisse et porte-parole des Verts de Genève, que nous avons interrogée pour Le Lanceur.
En avril 2015, un rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire (française) pointait une centrale dont “les performances en matière de sûreté nucléaire restent globalement en retrait par rapport à l’appréciation générale que l’ASN porte sur EDF” et estimait “non satisfaisantes” les interventions effectuées “à la suite d’anomalies techniques”. L’exploitation du réacteur 5 du Bugey a été prolongée jusqu’en 2022.
Le Lanceur : Pourquoi la Ville et le Canton de Genève portent-ils plainte contre X pour mise en danger délibérée d’autrui et pollution des eaux auprès de la justice française à propos de la centrale nucléaire française du Bugey ?
Lisa Mazzone : Notre population est mise en danger par cette centrale nucléaire. Genève est à 70 kilomètres du site du Bugey. Dans notre Constitution genevoise, nous avons le mandat de nous opposer à tout développement de projets nucléaires qui mettent en danger la sécurité et la santé de nos habitants. Cet article a été adopté par la population dans les années 1980 et confirmé en 2012 par une révision constitutionnelle. Dans le cas de la centrale du Bugey, il y a des dysfonctionnements à répétition. La centrale touche à ses 40 ans d’existence. Elle est désuète. Le canton de Genève est inquiet concernant la technologie nucléaire de manière globale. Elle fait courir des risques beaucoup trop grands à la population. La centrale du Bugey constitue une atteinte à notre intégrité. Dans cette plainte, nous sommes alliés à des riverains français. C’est la première fois que nous déposons une plainte pénale. Jusqu’à présent, nos démarches étaient administratives. Nous avons le droit d’intervenir et nous espérons qu’elle sera retenue. Bien sûr, Genève est en Suisse et la centrale est en France, mais nous savons bien que les rayons radioactifs ne s’arrêtent pas aux frontières. La frontière n’est pas un critère pertinent pour nous refuser le droit d’agir en justice.
cette vieille casserole doit être arrêtée tout de suite”
Quels éléments avez-vous sur l’état de la centrale nucléaire du Bugey, que les autorités françaises jugent apte au service ?
Nous nous basons sur un entretien défectueux et des dysfonctionnements. Un rapport de l’IRSN [Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire] de 2010 mentionne des fuites dans le radier, la dalle qui protège les nappes phréatiques. On sait encore qu’il y a eu des fuites de tritium entre 2010 et 2015 qui ont pollué une nappe souterraine. C’est autant d’éléments qui nous font dire que cette vieille casserole doit être arrêtée tout de suite.
En Suisse, vous avez aussi des centrales nucléaires. Pourquoi porter plainte contre une centrale nucléaire française et pas contre les vôtres ? Doutez-vous de nos capacités à entretenir nos installations ?
Le Bugey est la centrale la plus proche du canton de Genève, bien plus que celles des autres cantons. C’est en cela que la frontière n’est pas un élément discriminant intéressant. Quand on parle de rayon radioactif, il faut voir le critère de la proximité. Mais le nucléaire doit être arrêté de manière globale en Suisse. Nous allons voter sur une sortie du nucléaire après 45 ans d’activité des centrales. En matière de sécurité, c’est à cette technologie que nous ne faisons pas confiance. En Suisse comme en France.
Un accident nucléaire c’est une région rayée de la carte du jour au lendemain, des millions de personnes déplacées, des maladies, des handicaps, des décès. C’est une catastrophe humaine, environnementale et écologique. Nous ne devons pas faire courir ce risque à la population.
Vous vous étiez opposés à la création d’un centre de traitement des déchets sur la centrale du Bugey et vous aviez été déboutés. Pourquoi ce ne serait pas la même chose avec une plainte contre la centrale ?
Il ne s’agissait pas à l’époque d’une plainte, mais d’un recours administratif. Nous ne nous étions pas vu reconnaître la capacité pour agir en raison de l’éloignement et de la nature de l’activité : le retraitement des déchets. Cette fois, notre plainte est pénale et touche à l’activité de la centrale.
Le nucléaire a encore trop de lettres de noblesse en France. Il faut se rendre compte du danger que cela représente”
La centrale nucléaire du Bugey fournit 4% de la production française d’énergie et alimente la métropole lyonnaise. Son maintien apparaît vital, stratégiquement, pour la France. Comment faites-vous à Genève pour vous passer de tout approvisionnement en électricité nucléaire ?
La sortie du nucléaire s’accompagne forcément d’approvisionnements alternatifs. Dans le canton de Genève, près de la moitié de notre électricité est produite par des barrages hydroélectriques. Nous avons aussi développé des énergies renouvelables. Il faut mettre l’accent sur des économies d’énergie. Dans notre canton, cela fait ses preuves. Nos dépenses énergétiques se sont stabilisées. Dire que le nucléaire est économique est un leurre. Dans le cas du Bugey, la réparation de la dalle du radier est trop chère pour l’exploitant.
Comprenez-vous pourquoi les autorités françaises ne se mobilisent pas sur le cas de la centrale du Bugey ?
Le nucléaire a encore trop de lettres de noblesse en France. Il faut se rendre compte du danger que cela représente. Répondre aux enjeux climatiques va de pair avec la sortie du nucléaire. En Suisse, nous sommes aussi des pionniers, dans le canton de Genève, sur la sortie du nucléaire.