Alors que le Parti républicain semble se résigner à accepter la candidature de Donald Trump pour la prochaine présidentielle, Jean-Eric Branaa, maître de conférences politique et société américaines à l’université Panthéon-Assas, pense que cela pourrait pousser Hillary Clinton à choisir son rival dans la primaire démocrate, Bernie Sanders, comme candidat à la vice-présidence.
lelanceur.fr : Vous écrivez que Donald Trump a remporté la bataille. Les primaires républicaines sont-elles déjà jouées ?
Jean-Eric Branaa : On est en politique, il y a du suspense jusqu’au dernier moment, mais mathématiquement, Donald Trump, c’est vrai, est quasiment le nominé. Il y a quand même, aujourd’hui, entre 10 et 11 millions de personnes qui ont déjà voté pour lui, il y en aura entre 14 et 15 millions à la fin et on ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé et dire à ces 15 millions de personnes qu’on change la règle du jeu, que tout ce qu’on a fait, c’était pour rien.
La convention républicaine pourrait-elle permettre de désigner un autre candidat ?
Ce serait, dans un monde aussi difficile que celui que l’on vit actuellement, quelque chose d’assez insupportable. Pensez aux centaines de millions de dollars qui ont été dépensés pour organiser ces primaires, si on nous expliquait aujourd’hui que tout cela ne servait à rien.
Enfin, il n’y aura pas, le 6 novembre 2016, qu’un seul candidat dans une seule élection, mais de multiples élections et de multiples candidats (sénateurs, gouverneurs, juges, shérifs…) Si on a un vaste carnaval lors de la convention, comme certains nous l’annoncent, ce serait très dommageable pour les chances du candidat républicain à la présidence, mais aussi des milliers de candidats à travers le pays qui vont pousser pour que les dirigeants du parti s’entendent bien avant.
Trois jours après la convention du Parti républicain, il y a la convention du Parti démocrate. Imaginez une bagarre monstrueuse au parti républicain et une unité parfaite au parti démocrate. Qui sera en bonne posture pour gagner l’élection suivante ?
Donald Trump est une boîte vide”
C’est ce qui vous fait dire que le Parti républicain va, au final, être obligé de se résigner et de se ranger derrière Donald Trump ?
Je crois qu’il s’est déjà résigné. Il y a eu une vraie colère au Parti républicain parce que Trump et Cruz sont devant, parce que les candidats de l’establishment ont tous été éliminés un par un. Tout ça, c’était assez incroyable, anormal et il fallait, à un moment que ça s’arrête. Le Parti républicain est dans un état assez lamentable. Il a implosé ou explosé, ça dépend comment on le regarde. Je crois qu’il a fait les deux. Il va falloir très vite, pour les dirigeants du parti, essayer de rassembler ce qui peut encore l’être pour pouvoir réussir cette convention et les élections qui suivent.
L’avantage, c’est que Donald Trump est une boîte vide, qu’il n’a aucune tradition politique forte, donc il sera relativement facile pour tous ces cadres du parti de remplir cette boîte avec des idées conservatrices acceptables pour le plus grand nombre et d’en faire un membre de l’establishment, une fois qu’il aura été débarrassé de ce manteau de l’outrance et de l’insulte.
Cette influence du Parti républicain, c’est quelque chose qu’il pourrait accepter ?
Il est déjà sous influence du Parti républicain. Donald Trump ne nous a annoncé aucune partie de programme, si ce n’est la construction d’un mur avec le Mexique et le renvoi de 13 millions d’immigrés clandestins. C’est la seule chose qu’il a annoncé depuis près d’un an.
Depuis quelques semaines, en revanche, il se met à parler d’éducation, de santé, pour répéter les grands clichés du Parti républicain, à savoir, pour l’éducation, ce serait bien que ce soit décentralisé et que ça reste sous le contrôle des Etats et pour l’assurance santé, qu’on va démanteler l’Obama-care. Il va faire ça pour toutes les parties du programme, certainement flanqué ensuite d’un vice-président qui sera, lui, un pur produit de l’establishment et qui pourra faire la partie politique que Donald Trump sera bien incapable de faire pendant la campagne.
Est-ce que ça ne peut pas être une posture, pour s’éviter trop de difficultés au sein du Parti républicain pendant la convention ?
C’est possible, compte tenu du fait que cet homme est totalement imprévisible. Je crois même qu’il est capricieux, voire caractériel. C’est une présidence difficile qui s’annonce si jamais il est élu. C’est ce qui a fait sortir les membres parmi les plus éminents du Parti républicain de leurs gonds, pour essayer de l’arrêter très rapidement, parce qu’on ne sait pas ce que peut donner une présidence Donald Trump.
Il y a une panne démocratique, une demande que la politique se fasse autrement”
Qu’est-ce qui a permis à Donald Trump de s’imposer comme une véritable alternative aux membres du Parti républicain plus proches de l’establishment ?
C’est de la télé-réalité, de la communication parfaitement maîtrisée. Pendant des mois, on s’est tous passionnés, on a disserté sur quelque chose qui n’avait rien de politique. Pendant ce temps-là, les vrais candidats, ils étaient 17 au Parti républicain, 5 au Parti démocrate, ont été totalement bâillonnés. Aucun d’entre eux n’a pu avancer le début d’un programme.
Une fois qu’on a dit tout ça, on voit derrière se profiler autre chose qui dépasse très largement le petit cas des Etats-Unis et qui nous concerne également en France, qui concerne toutes les démocraties avancées. C’est une panne démocratique, une demande que la politique se fasse autrement, que les hommes politiques se comportent autrement, que les pratiques soient différentes, alors que le personnel politique n’a pas changé et qu’il n’a pas compris qu’il devait changer.
Il y avait un vrai terreau d’une attente qu’on ne comprend pas ou qu’on ne maîtrise pas encore mais qui est une vraie révolution politique, au sens où Bernie Sanders l’annonçait. Si Donald Trump n’avait pas existé dans cette campagne, on serait en train de parler de Bernie Sanders. C’est lui qui aurait occupé les premières pages tellement sa campagne a été différente et enthousiasmante pour beaucoup. Il a 85 % des jeunes de 17 à 21 ans.
Est-ce qu’on peut donner au Tea Party un rôle, un effet sur la trajectoire qu’a connue Donald Trump ?
Je crois que les mouvements Tea Party s’inscrivent exactement dans cette démarche, à droite. Mais à gauche, vous avez Occupy Wall Street. Il y en a des deux côtés. Ce sont des bulles qui se sont développées au cours des dernières années. Les réseaux sociaux, c’est la même chose.
Cette campagne va nous réserver encore des surprises. Il y a même la possibilité qu’elle se transforme en référendum establishment ou non-establishment, à moins que les candidats arrivent à trouver les vice-présidents ad hoc qui permettront de passer à autre chose et de parler de politique.
Vous expliquez que Trump pourrait s’accompagner d’un vice-président qui serait plus “establishment”. Est-ce que ça pourrait pousser Hillary Clinton à faire l’inverse ?
C’est ma théorie et je me suis même avancé sur les noms. Je crois que du côté de Donald Trump, on pourrait voir revenir Marco Rubio, qui a le profil idéal pour être le vice-président d’un Donald Trump. Il est jeune, hispanique, du sud, de l’establishment. Il a tout ce que Donald Trump n’a pas et permettrait de compléter le ticket pour remettre Donald Trump sur les rails pour refaire de la politique.
Du côté d’Hillary Clinton, effectivement, c’est l’effet inverse. Elle est tellement establishment qu’elle est obligée aujourd’hui de regarder où sont ses faiblesses et tout le monde les voit, ce sont les jeunes et notamment les jeunes femmes. Pour l’instant, il n’y a qu’un seul homme politique, aux Etats-Unis, qui est capable de les fédérer. Cet homme-là, c’est Bernie Sanders. On ne peut plus écarter l’idée d’un ticket Clinton-Sanders. C’est un ticket très vieux, ça va évidemment être un handicap pour le camp démocrate, mais peut-être que quand on parle de vote jeune, on doit penser différemment. Bernie Sanders aujourd’hui est la superstar parmi les jeunes Américains.
Ci-dessous, Lelanceur.fr publie l’article de Jean-Eric Branaa, paru sur le site The Conversation.
Dans la course à l’investiture, Donald Trump gagnant à tous les coups
Jean-Eric Branaa, Université Panthéon-Assas
Cela fait des mois que l’on entend que les cadres du Parti républicain veulent empêcher Donald Trump de décrocher l’investiture de leur parti. Les outrances, insultes et anathèmes qui sont devenues la marque de fabrique du candidat milliardaire ont dressé contre lui tous les cadres du parti de Lincoln. Mais cette campagne n’a rien de commune avec celles du passé et les électeurs ne se sont jamais détournés du New-Yorkais. Bien au contraire, au grand dam des journalistes, spécialistes et politiciens qui n’ont cessé de prédire une chute qui n’est jamais arrivée.
La dernière polémique sur l’avortement est à ranger dans le même placard et ne gênera en rien Trump dans son irrésistible ascension. Alors les couteaux sont maintenant tirés et l’establishment a jeté ses dernières forces dans la bataille : Mitt Romney, John McCain, Lindsey Graham et dernièrement Jeb Bush ou Scott Walker ont fait un chemin curieux et se rangeant derrière Ted Cruz, un homme qu’ils détestent tous cordialement et qu’ils tentent aujourd’hui de présenter comme un « bon conservateur », bien loin pourtant de leurs désir de modération.
La démarche est d’autant plus curieuse qu’il semble de plus en plus assuré que Donald Trump ne peut plus échouer dans cette compétition des primaires. Comme toujours, en politique américaine, c’est la calculette qui fait foi : or, à ce jour, Donald Trump a remporté 754 délégués. Ses challengers, même ensemble, n’arrivent pas à un tel nombre : à peine 114 délégués pour John Kasich et 465 pour Ted Cruz, soit 609 en tout. Même en comptant les délégués collectés par les candidats qui ont abandonné, il obtient toujours la majorité des 1494 délégués répartis à ce jour.
Les nombreux éditorialistes, tels Philip Bump dans le Washington Post ou James Freeman dans le Wall Strdeet Journal qui envisagent une victoire finale de Ted Cruz, ou plus étonnamment de John Kasich (comme Jim Newell dans Slate), semblent espérer un retournement très improbable, ou une solution miracle qui surgirait lors de la convention, fin juillet, à Cleveland.
Tous contre un !
La posture du « tous contre un » – une constante depuis le début de cette compétition – a prouvé ses limites : loin d’arrêter Donald Trump, elle a au contraire agrégé autour de lui une frange dure de l’électorat, qui est désormais sourde à tous les arguments contre leur champion. La position victimaire fonctionne donc encore et sert la thématique populiste et du « tous pourris ».
Rien n’ébranle le candidat atypique. Bien au contraire, toutes ses sorties, surtout les plus outrancières, resserrent les rangs de ses troupes. Les attaques incessantes – et légitimes – provenant de l’intérieur même du parti aboutissent donc à l’effet inverse de celui qui est recherché. Annoncé mort politiquement à maintes reprises, le Donald continue sa route, imperturbable, avec un électorat qui ne cesse de s’étendre et, surtout, qui se ferme à toute remise en cause et à la parole politique « classique ».
Ainsi, en soudant à Trump ces électeurs qui se sentaient exclus du jeu, les caciques du Parti républicain ont perdu la bataille idéologique, la bataille stratégique et, surtout, celle des mathématiques.
Du côté des idées
La bataille idéologique est celle du positionnement : Reince Priebus, qui est le chef du Parti républicain, rêvait d’un repositionnement du parti, qui s’ouvrirait à la nouvelle démographie américaine et préparerait le futur. De ce point de vue là, l’élection 2016 est un fiasco : le Parti républicain est désormais clairement marqué à droite, avec un retour aux conservatismes les plus durs. La majorité blanche a imposé ses vues et refuse cette ouverture aux minorités, qu’elle soit de genre ou de race.
Le repli sur soi est encore plus net au centre des États-Unis, cette Amérique rurale qui a fait le choix de Cruz, l’ultra-conservateur, dès les premières heures de la campagne.
Quant à l’Amérique urbaine, celle des petites comme des grandes villes, prisonnière de ses peurs du terrorisme et d’une frustration née d’une crise trop pesante, elle s’est tournée vers un homme qui bousculait le système, faisant le choix de Trump.
Les prochains scrutins ne se joueront plus sur un terreau dominé par des chrétiens évangéliques ou ultra-conservateurs et l’avantage n’est pas dans le camp de Ted Cruz.
La faillite stratégique
La bataille stratégique a permis de maintenir l’illusion qu’un candidat de l’establishment pourrait l’emporter. Cette bataille-là se joue dans les caucus, car le vote y est plus facilement contrôlable : l’électeur est un militant, qui a des habitudes, des amitiés et des intérêts qui l’amènent à suivre des consigne ou une ligne impulsée par les dirigeants. L’échec de Bush, puis de Rubio a profité à Cruz.
Cet élan ne peut plus mener nulle part, désormais, puisque de tous les scrutins à venir, aucun ne sera joué sous la forme d’un caucus. Le parti a épuisé toutes ses possibilités de blocages techniques, même s’il reste la réécriture des règles de la convention. Mais c’est là un risque très grand de voir le parti imploser. Pourtant, tout cela ne serait pas arrivé avec les règles des primaires telles qu’elles existent au Parti démocrate et, notamment, un nombre plus élevé de super-délégués. La leçon sera certainement retenue pour une prochaine échéance.
Dans l’immédiat, c’est donc dans la confrontation populaire que le sort de Trump va se jouer, là où il excelle. Plus le vote est ouvert, plus il l’emporte avec un écart important. La plupart des primaires à venir seront toutefois « fermées », ce qui laissera les indépendants à la porte : peu importe, ce seront des primaires tout de même. Les sympathisants déclarés pourront voter et ne s’en priveront pas : Trump a réussi cet exploit de ramener vers le vote une population qui avait délaissé cette pratique.
Le compte est bon
La bataille mathématique tourne donc à l’avantage de Donald Trump. En mettant à part le Wisconsin, qui sera disputé ce mardi 5 avril, et vraisemblablement remporté par Ted Cruz, les votes à venir dans les États du Nebraska, du Dakota du Sud et du Montana devraient très logiquement être acquis à ce dernier. Ce sont tous des winner-take-all : le gagnant emporte tous les délégués – ce qui fera un gain de 92 délégués pour le candidat conservateur.
Il s’agit cependant un leurre car ce sera largement insuffisant pour espérer inquiéter un Trump qui l’emportera à coup sûr dans son État, New York (95 délégués), avant de dominer très largement dans le prochain grand rendez-vous, le troisième Super Tuesday du 26 avril : Maryland, Connecticut, Rhode Island, Pennsylvanie et Delaware tomberont dans son escarcelle pour une moisson de délégués que l’on peut évaluer entre 85 et 100 pour cette seule journée.
Le mois de mai confirmera cette domination en Indiana, Virginie occidentale et Oregon, L’état de Washington (24 mai) sera cependant très disputé et Cruz devrait pouvoir l’emporter. Peu importe alors le résultat dans le Nouveau Mexique, le 7 juin, qui pourrait voter Cruz comme le Dakota et la Montana ; Trump, lui, se concentrera sur les grosses prises : le New Jersey (51 délégués) et surtout la Californie (172 délégués).
Trump-compatibles
Son score sera alors compris entre 1 150 et 1 280 délégués, le chiffre « magique » étant de 1 237. C’est une nouvelle bataille qui commencera alors : celle de l’acceptation. Car personne n’imagine une guerre ouverte à la convention de Cleveland, qui serait un désastre pour le Parti républicain.
L’establishment va alors mettre au placard certains de ses cadres, qui se seront trop impliqués dans une lutte anti-Trump et mettra en première ligne des Trump-compatibles, à commencer par les sénateurs dont le siège se jouera le 8 novembre prochain.
Si certains caciques se liguent aujourd’hui contre le candidat-trublion, ce dernier a aussi gagné parce qu’il a compris très vite ce que d’autres n’avaient pas vu : le Parti républicain crie très fort mais ne mord pas. Il est devenu trop faible pour ça.
Jean-Eric Branaa vient de publier « Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump », Editions de Passy, mars 2016.
Jean-Eric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines, Université Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.