Ce jeudi 2 février, l’ex-responsable marketing de la banque UBS, Stéphanie Gibaud, est sommée de se rendre à la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Son ex-employeur, mis en examen pour blanchiment aggravé de fraude fiscale, l’accuse de porter atteinte “à son image et à son intégrité”. Contacté pour savoir si Stéphanie Gibaud pourrait bénéficier du statut de lanceur d’alerte institué par la loi dite Sapin II, le ministère des finances répond que “Mme Gibaud n’entre pas dans le cadre de la définition du lanceur d’alerte car elle n’est pas à l’origine de la procédure contre UBS”.
Si les techniques d’UBS pour dissimuler des milliards d’euros de sa clientèle au fisc français auraient pu ne pas être totalement mises au jour sans la persévérance de Stéphanie Gibaud, la lanceuse d’alerte paye quotidiennement le prix de ses révélations. En 2008, elle refuse d’obéir à sa supérieure qui, suite à une perquisition dans le bureau du directeur général, la somme de supprimer des données concernant la fortunée clientèle de la banque de gestion suisse. Un an plus tard, Stéphanie Gibaud porte plainte contre son employeur, qui la poursuivra en diffamation en 2010. Lors de ce procès, les chefs d’accusation qui concernaient le démarchage illicite de la clientèle française et l’évasion fiscale en bande organisée seront rejetés par le tribunal de police.
Sept ans plus tard, ce jeudi 2 février, c’est cette fois devant le tribunal de grande instance de Paris qu’UBS traîne Stéphanie Gibaud, de nouveau pour diffamation sur les mêmes chefs d’accusation. Licenciée en 2012, elle publie deux ans plus tard un livre, La Femme qui en savait vraiment trop, dans lequel elle détaille le démarchage des Suisses sur le territoire français pour inciter leurs clients à l’ouverture de comptes offshore et l’existence d’une comptabilité parallèle et non déclarée, dénommée “carnet du lait”, qui a pu servir à “surpayer les bonus des chargés d’affaires français qui aidaient ou qui encourageaient leurs clients à ouvrir des comptes offshore”. Elle raconte également le harcèlement qu’elle a pu subir entre le moment de sa plainte et son licenciement. Ces révélations sont toutes contestées par la banque, qui a déposé sa plainte en diffamation seulement quelques jours après la victoire de Stéphanie Gibaud aux prud’hommes, en 2015.
“Question d’intégrité et de valeurs”
Face à cette guérilla judiciaire, Stéphanie Gibaud garde néanmoins la tête haute, rappelant que dans le cadre de l’affaire de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, le journaliste Denis Robert s’est vu intenter pas moins de 60 procès. Si Stéphanie Gibaud obtient 30.000 euros de réparation par la décision des prud’hommes en 2015, cet argent ne fera qu’éponger ses frais de justice. Quelques jours plus tard, elle reçoit donc une nouvelle plainte contre elle en diffamation, celle dont le procès s’ouvre ce jeudi. À l’époque défendue par l’avocat William Bourdon, UBS aurait tenté de négocier pour le retrait de la plainte pénale de Stéphanie Gibaud, comme elle le raconte dans un billet publié sur Mediapart en mars 2016 : “UBS, par l’entremise de celui qui fut mon avocat l’an dernier, a proposé en mars 2015 que je retire ma plainte… pour en échange enlever celle qu’elle venait de déposer en diffamation contre moi et me “gratifiant” de quelque 50.000 euros. On ne négocie pas avec le mensonge, c’est une question d’intégrité et de valeurs”, écrit-elle, le jour de l’anniversaire de l’un de ses fils, date à laquelle elle doit quitter son appartement, faute de pouvoir assumer son loyer.
Ce jeudi, la banque suisse entend contester le “harcèlement” décrit par Stéphanie Gibaud dans son livre, faisant appel à trois témoins dont la liste a été fournie tardivement au nouvel avocat de la lanceuse d’alerte, maître David Koubbi. La banque entend également revenir sur l’existence des démarchages illicites des chargés d’affaires suisses sur le territoire français, alors que l’ancien numéro deux d’UBS France, Patrick de Fayet, dont Stéphanie Gibaud a dépendu pendant plus de cinq ans, plaidait coupable sur ce chef d’accusation devant le juge Guillaume Daïeff et le parquet nationale financier en juin dernier.
12 milliards et puis s’en va
“Le grand absent de cette histoire, c’est l’État français”, répète Stéphanie Gibaud, qui rappelle que les comptes offshore de l’ex-ministre du Budget sous François Hollande, Jerôme Cahuzac, et ceux de l’héritière et femme d’affaires Liliane Bettencourt avaient tous deux été ouverts chez UBS à Genève. Face à plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs, le ministre des Finances, Michel Sapin, a également reconnu que Bercy a pu mettre la main sur 38.000 comptes offshore, à hauteur de 12 milliards d’euros, notamment grâce à la participation de Stéphanie Gibaud à l’enquête préliminaire des douanes judiciaires en 2011 puis à la commission rogatoire débutée en 2012. Ainsi, la maison mère d’UBS, en Suisse, mise en examen pour blanchiment aggravé de fraude fiscale, a dû payer une caution record de 1,1 milliard d’euros : une somme jugée trop élevée par la banque, qui a fait appel de cette décision devant la Cour européenne des droits de l’homme, une demande récemment déboutée par la CEDH.
En parallèle, UBS France est mise en examen pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale et a dû régler une caution de 40 millions d’euros. Pour “laxisme dans ses systèmes de contrôle”, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a condamné la filiale française à une amende record de 10 millions d’euros après que son appel au Conseil d’État a été rejeté. C’est bien pourtant Stéphanie Gibaud, qui vit des minima sociaux depuis 2014, qui tiendra la place des accusés ce jeudi.
“Comment l’État français ne protège-t-il pas ses témoins et les gens qu’il fait travailler ? Comment se fait-il que l’État français soit incapable d’intervenir pour qu’UBS ne me traîne pas en justice ? s’insurge-t-elle, déplorant que la loi Sapin II visant à protéger les lanceurs d’alerte ne soit qu’une affaire de communication. Je suis le cas concret de lanceur d’alerte dans un dossier d’évasion fiscale que l’État a complètement abandonnée alors qu’au-delà du gouvernement j’ai été entendue par un nombre impressionnant de députés et de sénateurs. À part Nicolas Dupont-Aignan, le président du parti Debout la France, et le sénateur communiste du Nord Eric Bocquet, personne ne se lève pour dire que ce que je vis est une véritable ineptie.”
Pourtant, dans l’opinion publique, un récent sondage fait par Viavoice pour le média des lanceurs d’alerte le Mur des Insoumis, témoigne que 73 % des personnes interrogées estiment que les lanceurs d’alerte sont “utiles à la société”.
UBS en négociation avec des magistrats français
Si la loi Sapin II affiche dans ses amendements la protection des lanceurs d’alerte. Bercy estime, à la veille du procès en diffamation de Stéphanie Gibaud, que cette dernière “n’entre pas dans le cadre de la définition du lanceur d’alerte car elle n’est pas à l’origine de la procédure contre UBS”. De son côté, Stéphanie Gibaud indique que la loi Sapin II permet en revanche à UBS de négocier directement son amende (cf. vidéo ci-dessous). Un deux poids/deux mesures parfaitement insupportable pour cette mère de famille, qui rappelle avoir agi avant tout pour “l’intérêt général” quand la banque UBS, sans le cacher dans ses communiqués, semble avant tout agir pour défendre “l’intérêt de ses actionnaires”.