Longtemps niée, l’activité prostitutionnelle des mineurs est aujourd’hui encore minimisée par les pouvoirs publics. Ce déni se traduit par un déficit d’éducation à la sexualité alors que les adolescents y sont confrontés de plus en plus tôt, par la pornographie notamment, et qu’Internet facilite l’entrée dans la prostitution. Si bien que le phénomène prostitutionnel s’est démocratisé, jusque dans les cours de récréation, et ne concerne plus seulement les mineurs étrangers isolés.
Si l’accentuation des phénomènes migratoires ces dernières années s’accompagne d’un développement des réseaux de prostitution, comme le soulignait un rapport du Département d’État, la prostitution de mineurs ne concerne pas que les étrangers isolés. Loin de là. “Les questions migratoires peuvent aggraver la situation en rendant les personnes plus vulnérables face aux réseaux de traite. Mais la prostitution de mineurs concerne aussi et surtout des enfants français”, nous confiait ainsi un communicant de l’association d’utilité publique Agir contre la prostitution d’enfants (ACPE), il y a quelques semaines.
À l’occasion de ses 30 ans, cette même association organisait le 29 novembre un colloque à l’Assemblée nationale. Objectif : porter la question de la prostitution de mineurs devant les décideurs politiques, lancer “une nouvelle alerte à l’adresse de la société française et des responsables politiques”, comme l’explique Arthur Melon, chargé de la communication de l’association.
Un colloque intitulé “STOP à la prostitution des enfants en France” pour “tenter de mettre fin au déni généralisé”, selon les termes d’Armelle Le Bigot-Macaux, la présidente de l’ACPE. Par l’image, notamment, et le témoignages de deux mères qui ont vu leurs filles mineures tomber dans la prostitution. “Il est temps pour les Français et les autorités publiques d’ouvrir les yeux sur ce fléau, qui représente un grave enjeu de santé publique, et ce d’autant plus qu’il se développe de façon exponentielle avec les nouveaux usages d’Internet”, prévient Armelle Le Bigot-Macaux.
Déni
Des experts de l’éducation aux acteurs associatifs, des officiers de police aux magistrats en passant par des psychologues et des chercheurs, les personnes présentes ont témoigné de la réalité du phénomène prostitutionnel chez les mineurs. “Tous ont dit connaître ce phénomène dans le cadre de leurs professions, et ont expliqué les enjeux auxquels ils sont confrontés au quotidien pour venir en aide aux victimes”, relate l’ACPE par voie de communiqué.
Car, longtemps, le déni l’a emporté. “On nous a répondu pendant longtemps que cela n’existait pas ; puis que cela ne concernait que des mineurs étrangers isolés, critique Arthur Melon. Aujourd’hui encore, on minore les faits, on nous parle d’une trentaine de cas sur Paris, ce qui est inconcevable au vu de la taille de l’agglomération.” D’autant qu’en 2001 déjà la préfecture de police faisait état de “84 cas recensés à Paris”, note un rapport de la fondation abolitionniste Scelles, daté de 2007.
On nous a répondu longtemps que cela n’existait pas, puis que cela ne concernait que des mineurs étrangers isolés”
Ce déni des autorités, Lyon Capitale s’y est heurté lors de ses révélations sur la présence de mineurs prostitués en plein cœur de la capitale des Gaules. La police met en avant la difficulté à prouver la transaction financière et la connaissance de l’état de minorité par le client. “Nous avons des témoignages de mères et elles, lorsqu’elles mènent leurs enquêtes, elles ont les preuves, elles ne sont pas difficiles à trouver”, rétorque l’ACPE, qui reconnaît aussi le manque de moyens de la police : “Ils ne peuvent pas traiter tous les signalements. D’autant qu’ils n’ont pas tous la formation adéquate pour ce type d’affaires.”
Au total, il y aurait 5.000 à 8.000 mineurs prostitués sur le territoire français. Un chiffre approximatif et officieux. “Une estimation empirique à partir d’un agrégat de données de terrain”, puisque, déni aidant, aucune étude officielle n’a pu être menée jusqu’à présent, explique Arthur Melon. “On ne demande que cela, un recensement exhaustif sur lequel on pourrait s’appuyer”, poursuit-il.
“Il y a aussi des petites Françaises”
Mais alors, qui sont ces mineurs prostitués ? Longtemps a perduré chez les pouvoirs publics le lieu commun selon lequel il s’agirait exclusivement de mineurs étrangers isolés, victimes de réseaux criminels de traite. Or, s’il s’agit d’une facette de la réalité, ce n’est pas la seule, ni forcément la plus importante. “Cette prostitution n’est pas seulement le fait de jeunes mineurs étrangers isolés. Il y a aussi des petites Françaises, explique Arthur Melon. À Lille, il y aurait une quarantaine de mineurs français dans la rue.”
“Parmi les milliers de victimes de la prostitution de mineurs, les Roms de la gare du Nord ne sont qu’une partie, nous confiait crument un communicant de l’association il y a quelques semaines. Il y a aussi ces jeunes collégiennes qui pratiquent des fellations dans les toilettes pour 20 euros.” Ou encore “celles qui fuguent de chez elles et se retrouvent prises dans des réseaux plus petits”. “On les retrouve proposant leurs services dans des annonces publiées sur des sites type Vivastreet”, expliquait-il.
Parmi les milliers de victimes de la prostitution de mineurs, les Roms de la gare du Nord ne sont qu’une partie”
Une réalité que nous confirmait récemment Jean-Marc Rebouillat, directeur de la Sûreté départementale à Lyon : “La dernière affaire de mineurs qu’on a faite, c’est un gamin de 18 ans qui vivait avec une gamine de 17 ans en rupture de son foyer. Il la prostituait, avec son consentement, et vivait des revenus. Effectivement, c’était de la prostitution de mineurs. Lui était proxénète puisqu’il était majeur […] Ils avaient ouvert un site Internet et elle se faisait passer pour une majeure.”
Le 16 novembre dernier, les parents d’une jeune fille de 15 ans qui se prostituait via une annonce de masseuse de 20 ans ont porté plainte contre Vivastreet. Un site où pullulent les annonces d’escort à demi cachées, comme nous l’avions écrit dans une enquête publiée dans Lyon Capitale en novembre. De son côté, le “Site de rencontre pour hommes riches et femmes cherchant à se faire dorloter” SugarDaddy officialise carrément le michetonnage. Cette pratique de filles jeunes, voire mineures, cherchant une compensation matérielle à la compagnie et aux services sexuels qu’elles offrent à des hommes plus âgés et aisés.
Absence de réponse
“Les pouvoirs publics ne se saisissent pas correctement du problème, regrette l’ACPE. Ils ne sont pas prêts à lancer une étude de grande ampleur sur le sujet. Et, du côté des forces de l’ordre, les officiers de police judicaire sont complètement débordés.” Lors du colloque, “le chef de la brigade des mineurs de Paris” a précisé que, comme pour ses collègues en province, l’objectif premier est la lutte contre les réseaux de proxénètes. “Or, cette traque des proxénètes prend du temps, ce qui est normal, et pendant l’enquête les mineurs sont laissés pour compte, déplore l’ACPE. Il n’y a aucune mesure d’accompagnement.”
Pour l’association, “rien ne fonctionne pour éloigner les mineurs”. Il y aurait un déni au niveau des services publics sur l’efficacité des politiques menées. Une absence de remise en questions alors même qu’il y a “des retours d’expérience nous disant que les personnes demeurent isolées et démunies”. L’association regrette aussi le manque d’information sur la sexualité à l’intention des publics mineurs. L’école comme les parents sont en décalage avec ce que voient les enfants.
D’un côté, Internet facilite la mise en contact et de l’autre l’accès à la pornographie biaise complètement le rapport à la sexualité”
“L’ACPE a édité un guide pédagogique réalisé par des enseignants pour évoquer la question de la sexualité de la maternelle au lycée. Mais aucun établissement n’en a voulu”, raconte Arthur Melon. Pourtant, il y a “un gros déficit d’éducation sexuelle”, selon lui. “Et, quand on en parle, on ne parle que du pratique, du comment mettre un préservatif. Jamais d’éthique, du qu’est-ce que ça veut dire”, poursuit le communicant. Pourtant, l’article L.312-16 du Code de l’éducation oblige trois interventions par an dans les classes de collège et de lycée.
“D’un côté, Internet facilite la mise en contact et de l’autre l’accès à la pornographie biaise complètement le rapport à la sexualité, expliquait l’ACPE au site Le Lanceur. En éloignant de la réalité, la pornographie conduit à des comportements sexuels aberrants.” Et de poursuivre : “Il y a des filles de 12-13 ans qui ne voient pas de problème à pratiquer une fellation dans des toilettes de leur établissement, par exemple, puisque pour elles ce n’est pas un rapport sexuel.”