Alors qu’il a placé son mandat sous le signe de « la diversité » et que la chaîne offerte à Pascal Houzelot, TVous la Télédiversité, devait être la consécration de cet engagement philanthropique et désintéressé, le président du CSA a soudainement négocié, en décembre 2012, un virage à 180 degrés, déclarant désormais, à chaque sortie publique, qu’il avait nourri de sérieux doutes sur la ligne éditoriale de la chaîne, re-baptisée Numéro 23 juste avant son lancement. Tout en ajoutant que le tour de table des actionnaires l’avait rassuré. Histoire d’une manipulation.
Lors de son audition le 8 mars 2012 au CSA, Pascal Houzelot, porteur du projet, n’a guère convaincu, c’est un euphémisme. Michel Boyon et le tout Paris médiatico-politique avaient beau susurrer, sur l’air entendu de la confidence, que tout était déjà ficelé et que cette chaîne serait magnifique, personne, au fond, n’était dupe. Pas même la plupart des conseillers du CSA, qui, une fois n’est pas coutume, sont sortis de leur réserve pour attaquer frontalement le projet. Patrice Gélinet, généralement très mesuré, lancera ainsi à l’adresse de Pascal Houzelot : « Est-ce que vous ne craignez pas que chacune de ces diversités ne s’intéresse, au fond, dans les programmes, qu’à ce qui la concerne et qu’au lieu, autrement dit de fédérer, votre télévision n’entretienne le communautarisme ? »
Alain Méar enfoncera le clou, en rappelant que la diversité devait être promue sur tous les écrans de la télévision, et pas seulement sur un seul canal, ce qui serait contreproductif. Rachid Arhab sera quant à lui encore plus direct : « Moi aussi je suis sensible, comme Alain Méar, à ce que vous avez rappelé de l’action du Conseil et notamment de Michel Boyon pour ouvrir ce dossier de la diversité. Mais sur l’ensemble des chaînes ! (…) Encore une fois, c’est plus qu’une différence philosophique et notre démarche a été de bien expliquer aux opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, que nous ne souhaitions pas une chaîne « alibi » dans un groupe, ou une chaîne « prétexte » pour la visibilité, simplement ce qui aurait eu, selon nous, comme un inconvénient majeur de dédouaner les autres chaînes de toute obligation de réprésentation de la diversité. C’est un rappel qui me paraissait important ».
L’addition des différences fait-elle une cohérence ?
Mais la charge la plus lourde viendra de Françoise Laborde. Extraits : « Je vois bien ce que n’est pas cette chaîne : elle n’est pas communautariste, elle n’est pas alibi, ce n’est pas la négation des différences. Mais j’ai du mal à voir ce qu’elle est, du coup. Quelle est la différence de programmes ? Combien de programmes allez-vous produire en propre ? Qu’est-ce qu’une information, par exemple, en continu, sur la diversité ? En quoi un feuilleton sur la diversité est différent d’un feuilleton à succès tout court ? (…) Est-ce que l’addition des différences ça fait une cohérence ? C’est ça la question, est-ce que vous avez un public, à un moment donné, qui s’intéresse à une différence, quelle qu’elle soit –religieuse, culturelle, géographique, que sais-je- qui peut s’intéresser à la différence de l’autre ? »
Du bon sens finalement, et des interrogations que toute personne sensible à ces questions est obligée de se poser, naturellement. En dépit de ces doutes de façade, le CSA finira par octroyer un canal sur la TNT à Pascal Houzelot. Car, comme nous l’avons déjà écrit, les choix s’opèrent en amont et ailleurs, en l’occurrence à l’Élysée, le Conseil n’étant qu’une chambre d’enregistrement à la rebellion bien inoffensive. Il s’agit, pour chaque conseiller, de savoir jusqu’où aller trop loin, car à plus de 130 K€ annuels (et 200 K€ pour le président), avec voitures de fonction (et celle du président a un gyrophare bleuté sur le toit, comme dans Navarro), on accepte plus facilement de ravaler sa ration quotidienne d’amour-propre.
Les grandes vacances permanentes
Quotidienne… ou presque. Car le Conseil calque ses congés sur une (large) partie des vacances scolaires : une semaine à la Toussaint, une à Noël, une semaine en février, une à Pâques, plus deux mois et demi de vacances estivales. Quand les Conseillers ne tombent pas « d’un prunier » et sont empêchés d’assister aux réunions, mais pas aux mondanités (ici).
Numéro 23, chaîne alibi, chaîne prétexte, sans aucun doute. Mais certainement pas chaîne communautariste, ou revendiquant quoi que ce soit d’un moindre combat intellectuel ou sociétal, fût-il funeste pour la République. Re-baptisée opportunément et de façon la plus neutre possible Numéro 23 juste avant son lancement, la chaîne, commercialisée par TF1, n’a plus du tout l’ambition affichée au départ (lire encadré). Ainsi, elle n’est qu’une mini généraliste de plus, version séries américaines à petit budget. TF1 ne s’en cache même pas, qui écrit en toutes lettres sur son site commercial (ici) : « La grille des programmes de Numéro 23 s’articulera principalement autour de séries, de fictions, de magazines et de divertissements (…) De nombreuses séries inédites en télévision gratuite seront proposées aux téléspectateurs en 2013 dont les succès US Shameless et Community ». Prière de s’abrutir. But in English mal translated.
Numéro 23 et Image 7, les bons comptes font les bons amis
Bien qu’il s’agisse surtout de chiffres, prenons Michel Boyon à la lettre et essayons de comprendre ce qui a bien pu le convaincre dans le tour de table financier qu’il évoque désormais avec insistance. C’est qu’il y a du beau monde au capital de Numéro 23. Du beau monde qui ne pouvait plus vivre sans doute sans une chaîne destinée à la promotion télévisuelle de la diversité et qui a du coup évité le suicide collectif. Plus sérieusement, toute cette histoire est incompréhensible si l’on ne s’attarde pas un peu sur Anne Méaux, présidente fondatrice d’Image 7, une société de conseil en communication créée en 1988. Diplômée d’Assas, Anne Méaux fut membre du GUD et de la direction du PFN – Parti des Forces Nouvelles (ici). Nous sommes en démocratie, chacun est évidemment libre de ses engagements, mais cette précision est simplement utile pour la suite.
D’Arcelor Mittal à Goldman Sachs, en passant par Standard & Poor’s, Image 7 conseille ainsi une centaine de clients amis de la France et de l’emploi, comme cela est remarquablement détaillé sur son site Internet (ici), « dans les secteurs économiques les plus variés : industrie, luxe, finance, distribution, internet, sport, grande consommation… (groupes internationaux, sociétés du CAC 40, PME, start-ups). Elle conseille également des États, des institutions nationales et internationales, privées et publiques ». Au nombre de ses clients prestigieux, figurent aussi les mécènes –et non des moindres- de Numéro 23. Oui, mais quel est le rapport ? Marie-Luce Skraburski (ici), associée d’Anne Méaux et membre du comité de direction d’Image 7 depuis 1998, n’est autre que l’épouse du président du CSA (ici). Mais cela ne signifie rien et tout n’est peut-être que coïncidences.
« Corriger la perception injuste de la réalité »
Les coïncidences ne se limitent cependant pas à cette typologie de clientèle. Ainsi, Image 7 conseille également l’Audiovisuel extérieur de la France, Bouygues Telecom, Europacorp (la société de Luc Besson), Eutelsat Communications ou encore TDF… Et, toujours au chapitre des coïncidences (mais ce gros client ne figure plus comme référence sur le site Internet de la société), il convient de noter qu’Image 7 était liée par contrat à l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) et touchait à ce titre 200 K€ annuels. Le Canard Enchaînérévèlera d’ailleurs l’affaire en juin 2011 et expliquera que la mission d’Image 7 était, entre autres, de promouvoir l’image de la Tunisie en décrochant des interviews favorables au régime de Ben Ali. Qui était particulièrement chargée du dossier Tunisie chez Image 7 ? Marie-Luce Skraburski. Laquelle s’est félicitée, dans une note au patron de l’ATCE, d’avoir « oeuvré en vue de corriger la perception injuste de la réalité politique tunisienne ».
Comme le révèlera sur son blog Nicolas Beau (ici), quelques mois avant la Révolution de Jasmin, Michel Boyon, en voyage de l’autre côté de la Méditerranée, déclarera à la presse tunisienne : « Je suis impressionné par le remarquable niveau de développement atteint par la Tunisie. Ce qui me frappe c’est la manière dont la Tunisie réussit à concilier authenticité et modernité (…) Je me félicite du développement des compétences du Conseil supérieur de la communication [NDLR : l’équivalent du CSA en Tunisie], ainsi que du renforcement du pluralisme dans sa composition. Les Français (…) soutiennent les efforts de ceux qui, comme la Tunisie sous l’impulsion du président Ben Ali, sont déterminés à lutter contre toute forme de passéisme ou d’obscurantisme qui conduirait à la régression sociale ou culturelle ».
On pense encore à toi, oh Bwana
Coïncidences toujours, Marie-Luce Skraburski a organisé les vacances de personnalités françaises des médias en Tunisie. Image 7 s’en vantera noir sur blanc sur un document censé mettre en exergue son efficacité en matière de lavage de cerveaux. Le message est on ne peut plus clair : « Nous avons organisé de nombreux déplacements pour les dirigeants de médias et des journalistes français. Ceux qui ont participé à ces voyages ont spontanément reconnu avoir changé d’opinion sur le pays ». Rien ne saurait remplacer le journalisme de terrain. Pour la télé, Etienne Mougeotte et Alain Weill auraient ainsi bénéficié d’un voyage en 2009. On ignore si ce dernier (ici) a fait publier des articles nauséabonds dont il a le secret pour dénoncer les supposées accointances politiques d’Anne Méaux, et si son billet d’avion était parfumé au jasmin, ou au contraire charriait les miasmes de l’extrême droite.
La tactique du gendarme
Toujours est-il qu’à la lumière de ces éléments factuels, il devient « spontanément » plus facile de comprendre ce que signifie sans doute « la diversité » dans l’esprit de Michel Boyon et de ses amis patrons de chaîne. Comme l’affirmait Michèle Alliot-Marie à l’Assemblée nationale, en pleine révolution tunisienne, dans un discours qui contribuera à sa chute, “on ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons face à une situation complexe”. Tout en invitant les dirigeants à “mieux prendre en compte les attentes” des populations, elle avait par ailleurs suggéré que “le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type”… Le président du CSA et l’ex-ministre de la Défense auraient-ils le même conseil en communication ? Pour le gendarme de l’audiovisuel, ce serait une nouvelle coïncidence.
Didier Maïsto
« On est comme, si vous voulez, Arte est avec la culture, nous nous voulons être avec la diversité »
Alain Méar : Vous vous présentez comme une chaîne de complément, une chaîne thématique axée sur la diversité. Mais quand on regarde bien la grille, est ce qu’on n’est pas aux franges d’une chaîne semi généraliste ?
Pascal Houzelot : On ne rejette pas la proximité. On n’est pas du tout une chaîne mini généraliste. On est comme, si vous voulez, Arte est avec la culture, nous nous voulons être avec la diversité.
Alain Méar : Le modèle c’est Arte ?
Pascal Houzelot : Non le modèle c’est… je n’emploierais pas ce mot. C’est un modèle qui existe, et qui peut nous donner à penser qu’on peut avoir une thématique particulière, être semi généraliste, pas être généraliste, pas être mini généraliste, pas faire de l’information, pas faire du sport, pas faire tout un tas de chose, pas faire de télé réalité, et aborder une thématique de manière transversale. Et l’exemple d’Arte est intéressant, en cela que ça a montré que ça n’a pas tari la présence de culture sur les autres chaînes. Au contraire, depuis l’existence d’Arte, on peut considérer que la culture s’est un peu développée sur les autres chaînes. Jamais assez, ça c’est certain, nous, nous participerons à développer ça. On peut considérer qu’il y a un certain nombre de coproductions aujourd’hui entre Arte, Canal +, Arte France 3, Arte M6, il y en a même eu entre Arte et TF1, participe à irriguer un peu plus de culture dans l’ensemble du paysage. Eh bien nous avons l’ambition de faire la même chose avec la diversité.
(Audition au CSA du projet TVous la Télédiversité – Jeudi 8 mars 2012 – 9h30)