Suite à la plainte déposée par Patrick Buisson pour “prise illégale d’intérêts” dans l’affaire des sondages de l’Élysée, l’ex-ministre de la Justice, Christiane Taubira, a été placée sous le statut de témoin assisté. L’accusation d’avoir téléguidé la plainte de l’association Anticor contre Patrick Buisson ne tient pas, selon le président et le vice-président de l’association, qui évoquent une “instrumentalisation de la justice” de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
Patrick Buisson cherche-t-il à se venger de la plainte qu’Anticor a déposée contre lui dans l’affaire dite des sondages ? “Ce type de dossier n’a pas vocation à aller bien loin mais doit être instruit pour des raisons politiques. Le juge d’instruction ne peut pas se voir reprocher de ne rien faire dans un dossier scruté et instrumentalisé politiquement. Il s’agit d’un contre-feu allumé il y a maintenant deux ans parmi les multiples affaires Sarkozy”, regrette Eric Alt, vice-président de l’association Anticor.
En février 2010, une première plainte est déposée par l’association de lutte contre la corruption, suite, notamment, à un rapport de la Cour des comptes sur le budget de l’Élysée. En cause, des commandes irrégulières de sondages et des documents qui établissent à 9,4 millions d’euros la facture des centaines d’enquêtes commandées sous Nicolas Sarkozy. La plainte est classée sans suite par le parquet de Paris au motif que l’immunité présidentielle peut “s’étendre aux actes effectués au nom de la présidence de la République par ses collaborateurs”, en l’occurrence Patrick Buisson et Emmanuelle Mignon, ancien conseiller et ex-directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy.
“Christiane Taubira n’a pas favorisé l’ouverture de l’enquête”
Après le changement de majorité de 2012 et l’élection de François Hollande, Anticor dépose une nouvelle plainte contre Patrick Buisson pour “recel de favoritisme, abus de biens sociaux et détournement de fonds public par un particulier”. Cette fois, une enquête est déclenchée par un arrêt de la Cour de cassation. Entretemps, Patrick Buisson porte plainte contre Christiane Taubira, lui reprochant d’avoir appartenu au “comité de pilotage” d’Anticor et d’avoir téléguidé la plainte de l’association contre lui. Une accusation qui ne tient pas debout, pour l’actuel président d’Anticor, Jean-Christophe Picard : “Ce n’est juste pas possible. Elle n’est pas membre d’Anticor, ni du conseil d’administration, le seul habilité à prendre la décision d’ester en justice ou non. Elle n’était pas encore ministre et n’a pas favorisé l’ouverture de l’enquête car nous avons dû passer par la Cour de cassation pour faire annuler le refus d’enquêter émis par le parquet suite à la première plainte.”
Au sein du comité de parrainage d’Anticor, Christiane Taubira avait, selon l’association, un rôle bien plus honorifique qu’une réelle activité ou influence, explique le président : “La dernière fois qu’Anticor a vu Mme Taubira dans le cadre de nos actions, c’était en 2007. Le comité de parrainage était intéressant au début pour faire connaître l’association, mais il est tombé en désuétude et l’on n’a plus fait de réunion du comité de parrainage par la suite. Mme Taubira n’a absolument pas influé sur la plainte contre Patrick Buisson, mais elle a fait partie de ceux qui ont encouragé l’initiative de l’association quand Anticor a vu le jour.”
Pas de données “scandaleuses” dans les échanges de mails
L’affaire prend une autre tournure en septembre 2015, lorsque des dissidents d’Anticor – suite à des rivalités internes – font parvenir à la justice des échanges de courriels entre les dirigeants d’Anticor à propos de ce qui devient “l’affaire Taubira”. “J’ai lu tous ces échanges de mails, et je n’ai pas décelé de choses scandaleuses, précise Jean-Christophe Picard. Quand l’ancien conseil d’administration a été mis en cause, ses membres étaient un peu chagrinés et se sont posés entre eux la question de contacter le cabinet de Christiane Taubira. Mais, que les personnalités aient envie de se contacter après une mise en cause ne veut pas dire qu’ils étaient en contact avant.”
Dans ces échanges de courriels, une membre du bureau écrit : “Permettre à des personnalités politiques membres du gouvernement de faire partie de notre comité de parrainage, c’est se tirer inutilement une balle dans le pied (…) Je suis convaincue qu’il ne faut pas réagir maintenant face à cette question, sous peine de donner l’impression que nos accusateurs fallacieux ont raison, mais je persiste à croire qu’il faudra éclaircir ce point dans le moyen terme.” Plusieurs collaborateurs partagent son avis sur le fait de mettre entre parenthèses la présence, dans le comité de parrainage, d’élus qui rejoignent un gouvernement. Finalement, ce comité sera plus simplement supprimé.
“Je serais très étonné que ce dossier aille plus loin”
“Il est contrariant de voir la justice instrumentalisée de cette façon alors que, si le garde des Sceaux considère que le parquet ne fait pas son travail dans tel ou tel dossier, il peut donner des ordres écrits pour poursuivre en justice, ce que n’a pas fait Mme Taubira”, fait remarquer le vice-président d’Anticor, Eric Alt. “L’idée de Patrick Buisson et de ceux qui se sont constitués en partie civile, c’est que le garde des Sceaux instrumentalise l’association Anticor pour ses basses œuvres, mais dans tous les cas, un garde des Sceaux n’a pas besoin d’une association, agréée ou pas, pour donner l’ordre de poursuivre dans des affaires sur lesquelles il dispose d’informations”, poursuit-il.
La décision d’appliquer le statut de témoin assisté à l’ex-ministre de la Justice dans cette affaire n’inquiète pas le président d’Anticor, qui serait “étonné que cela aille plus loin” mais considère qu’il est “bien [que] la justice traite la plainte de M. Buisson”.
En juillet 2015, Patrick Buisson est auditionné par les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) dans le cadre de l’affaire des sondages de l’Élysée. À la fin de son audition, il est mis en examen pour “recel de favoritisme, abus de biens sociaux et détournement de fonds publics par un particulier”. Une mise en examen confirmée un an plus tard par la cour d’appel de Paris. Le patron de la chaîne Histoire a fait bénéficier ses propres sociétés, Publifact et Publi-opinion, de 3,3 millions d’euros en cinq ans, en échange des sondages qu’il commandait à l’institut Opinionway.
La sortie d’un livre à charge… contre Nicolas Sarkozy
Dans un livre publié il y a tout juste une semaine, Patrick Buisson dépeint l’association Anticor comme “une officine de gauche appuyée par de proches médias”. Mais les affaires auxquelles il est mêlé ne concernent que la préface de son livre La Cause du peuple, qui dresse avant tout un portrait à charge de Nicolas Sarkozy.
En 2014, l’ancien rédacteur en chef de Minute est condamné à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à l’ex-président et à son épouse pour les avoir enregistrés à leur insu dans l’affaire dite des écoutes. L’ancien conseiller n’hésite pas à utiliser dans son livre des verbatims des écoutes qu’il a effectuées pour descendre celui qui est actuellement en pleine campagne pour la primaire. Selon la journaliste au Monde Ariane Chemin, auteure d’un livre-enquête sur Patrick Buisson en 2015, l’historien aux idées d’extrême droite avait précisé à des amis en décembre dernier : “Maintenez Sarkozy la tête hors de l’eau et moi, à l’automne, je dégaine !”