Après les 90.000 exemplaires d’un modèle produit par Orange, en avril, l’Etat vient de retirer du marché un autre téléphone portable. En cause, le taux, supérieur aux normes, d’ondes électromagnétiques émises par ces modèles, potentiellement dangereux pour la santé humaine. Trois autres téléphones ont dû subir des corrections de la part de leurs constructeurs.
Nos chers téléphones portables rayonnent trop fort. Comme révélé par Le Lanceur il y a un an, une bonne partie des téléphones commercialisés en France sont potentiellement dangereux pour la santé humaine. Ils dépassent en tout cas le taux d’émission d’ondes électromagnétiques (mesuré en débit d’absorption spécifique ou Das) accepté. Ces ondes qui sont classées comme cancérogènes possibles par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et encore, les mesures effectuées par l’Agence nationale des fréquences (ANFR) sont biaisées : pour les tests, le téléphone n’est pas placé au contact de la tête, ou du corps, mais à une distance d’au moins 5 millimètres (pour le tronc). Ce qui ne correspond pas aux conditions d’utilisation. La plupart des utilisateurs téléphonent avec le combiné collé à l’oreille.
“Pour la mesure du DAS “tête”, les normes qui définissent les conditions de mesure assurent des conditions d’exposition maximale. Par contre, pour les tests réalisés à proximité du “tronc” (ventre, poitrine), réalisés en pratique près d’une surface plane, il est vrai que dans ce cas les négociations dans les comités de normalisation avaient conduit à considérer pour les tests une distance de mesure spécifiée par les constructeurs”, explique Olivier Merckel, à la tête du service Nouvelles technologies de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Or, lorsqu’on effectue les mesures au contact, neuf téléphones sur dix dépassent les normes, allègrement pour certains. Médecin lanceur d’alerte, Marc Arazi, qui se bat depuis deux ans pour que l’ANFR publie ces mesures et que la législation soit modifiée, dénonce “cette hypocrisie sur les règles et les normes” et la “pseudo-conformité des téléphones mesurés”. Jusqu’en 2016 les constructeurs pouvaient décider eux-mêmes de la distance à laquelle effectuer les mesures, entre 0 et 25 millimètres du corps… Des biais qui rapprochent ce Phonegate d’un scandale industriel à la Volkswagen, estime Marc Arazi.
Mises à jour correctives
Pourtant, même dans ces conditions avantageuses, certains modèles émettent trop d’ondes. Au point d’être épinglés par l’ANFR, qui a retiré au mois d’avril un premier modèle de téléphone du marché. Un modèle peu connu mais détenu par 90.000 utilisateurs en France, tout de même. “Nous avons enregistré des dépassements sur quelques autres téléphones”, déclarait alors l’ANFR par voie de communiqué. Trois constructeurs ont ainsi été mis en demeure d’effectuer les modifications nécessaires. Les correctifs ont été apportés via une mise à jour envoyée aux utilisateurs. Sorte de chirurgie numérique à distance. Les Alcatel PIXI 4-6’’, Echo Star Plus et Huawei Honor 8, que nous avions classés parmi les plus dangereux du marché, ont ainsi pu rester sur les étals. “Les sociétés TCL, Modelabs Mobiles et Huawei ont pris la décision de réduire la puissance de leurs terminaux via une mise à jour, écrivait l’ANFR le 29 mai. Cette évolution permet de rendre le DAS localisé “tronc” conforme à la limite réglementaire de 2 W/kg. La mise à jour est automatiquement diffusée aux téléphones correspondants, dès lors qu’ils sont connectés à un réseau de données (réseau mobile ou WiFi). L’ANFR a contrôlé l’efficacité de ces mesures correctives.”
La société Neffos, qui produit le NEFFOS X1 TP902, dont Le Lanceur annonçait également la non-conformité il y a un an, n’a pas eu cette joie. Ce modèle a également été retiré du marché. Neffos a été mise en demeure d’effectuer des correctifs sur son modèle, à la suite de contrôles non conformes du DAS. Mais l’entreprise a finalement préféré renoncer. “Neffos France a informé l’ANFR de sa décision de retirer ce produit de la commercialisation, dans l’ensemble de son réseau de distribution. Une procédure de rappel de tous les téléphones vendus en France a été ouverte par le constructeur jusqu’au 16 août 2018”, rapportait l’ANFR par voie de communiqué le 29 mai. L’ANFR s’est engagée à vérifier l’effectivité de ces mesures de retrait. Marc Arazi veut aller plus loin. Il remet en cause la conformité de “tous les téléphones dont les mesures ont été effectuées avant 2016 [date du durcissement de la législation européenne, NdlR]”. “Nous sommes en train de répertorier tous les téléphones qui devraient faire l’objet d’un rappel ou d’un reconditionnement, glisse-t-il au Lanceur. Une liste potentielle de 206 modèles, que l’on enverra aux ministres. Il faut travailler sur des bases globales.”
“Premiers effets à 100 W/kg”
Mais alors quels sont les risques réels ? “Quand les DAS des téléphones testés affichent des valeurs inférieures aux limites, on s’affranchit des effets considérés comme avérés sur la santé par l’ICNIRP [Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants]. Pour le grand public, le facteur de sécurité appliqué par l’ICNIRP est de 50. Donc les premiers effets considérés par l’ICNIRP ne devraient pas être observés à 2 W/kg mais plutôt à 100 W/kg, pour un représentant “moyen” de la population générale. Au-delà de ces effets bien connus, la question qui se pose est de savoir si d’autres effets pourraient être observés à des niveaux d’exposition inférieurs”, explique Olivier Merckel, qui précise que les tests au contact effectués par l’ANFR ont conduit à une évolution des normes européennes. “Le but était d’imposer aux constructeurs une diminution de leur liberté à définir la distance maximale de mesure, poursuit Olivier Merckel. Nous sommes ainsi passés de l’ancienne définition (dans les conditions d’utilisation prévues par les constructeurs) à des mesures réalisées dans des conditions raisonnablement prévisibles. Ce qui change tout. Mais on n’a pas été complètement au bout, l’Europe n’a pas suivi totalement les préconisations françaises. Les mesures de DAS “tronc” doivent dorénavant, depuis avril 2016, être réalisées à 5 millimètres de distance, au maximum.”
Pour Marc Arazi, ces évolutions sont encore trop faibles. Sur la base du rapport de l’Anses, les distances de mesure ont été réduites. “La distance de séparation entre le corps et un téléphone placé dans une poche de chemise, par exemple, peut n’être en réalité que de quelques millimètres, quand dans certaines situations celui-ci n’est pas placé directement au contact”, fait-il remarquer. L’ANFR a évolué dans ses pratiques depuis deux ans et après de multiples recours juridiques de Marc Arazi pour voir les mesures publiées. Désormais, un bilan semestriel est effectué et les données mises à disposition du public. Encore insuffisant, estime Marc Arazi. “Il n’y a pas de réaction des pouvoirs publics à la hauteur des risques, fulmine le lanceur d’alerte. Sans compter que si l’on se focalise sur les téléphones, la problématique pourrait être étendue à d’autres objets, comme les tablettes et les jouets connectés. L’ANFR ne remplit absolument pas sa mission de service public de protection. On sait, mais on ne dit rien aux gens et on continue comme s’il ne se passait rien.” Le directeur de l’agence, Gilles Brégant, n’a pas souhaité répondre à nos questions, évoquant notamment un agenda trop chargé. Il nous a renvoyé aux communiqués déjà consultés.