Le CNRS et Sciences Po Grenoble se sont associés pour la réalisation d’une enquête sur “Les adolescents et la loi”. Repris par le magazine L’Obs sur la question de la religion à l’école, les résultats de cette enquête sont beaucoup plus larges et montrent la fracture sociale parmi les adolescents dans leurs rapports aux institutions.
“L’école défiée par la religion” C’est le titre d’un dossier de L’Obs du 4 février, qui s’appuie sur des travaux de recherche du CNRS et de Sciences Po Grenoble, pour montrer l’influence de la religion chez les adolescents et le défi que cela représente pour l’école.
Le magazine y reprend les chiffres de l’enquête, dans laquelle 38,8 % des élèves interrogés se déclarent sans religion, 30,4 % se disent catholiques et 25,5 % musulmans. Pour différencier les degrés d’intensité de cette identification religieuse, les enquêteurs font référence aux musulmans et catholiques affirmés, lorsque cette religiosité est importante.
S’ensuit une série de questions sur l’opinion de ces enfants sur des sujets de société en fonction de leur appartenance religieuse.
On apprend ainsi que 71,8 % des élèves de confession musulmane pensent que Dieu a créé les espèces vivantes, contre 48,2 % pour les élèves catholiques et 5,7 % des élèves athées. Que 24,4 % des élèves musulmans sont “tout à fait” d’accord avec l’affirmation “La femme est faite avant tout pour concevoir des enfants et les élever”, contre 14 % des catholiques et 7,4 % des athées. Ou encore que 68,1 % des élèves musulmans ne suivraient pas une loi qui heurte leurs principes religieux, contre 33,9 % des élèves catholiques et 47,3 % des autres religions.
Des chiffres auxquels la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, répond dans une interview, y voyant la confirmation de “la prégnance du sentiment religieux parmi les élèves”, fruit d’une “crispation identitaire dans la société”.
Les élèves habitant en HLM ont moins confiance en l’école
Mais c’est loin d’être la seule conclusion de l’étude citée par le magazine. En fait, cela n’occupe qu’une trentaine de pages d’un rapport qui en compte 228. Intitulée “Les adolescents et la loi”, il s’agit d’une enquête menée auprès de plus de 9000 collégiens des Bouches-du-Rhône, âgés de 12 à 15 ans, abordant la relation des jeunes adolescents face aux institutions représentant l’autorité (police, école) et face aux comportements délictueux. Plus qu’une fracture religieuse, elle dépeint une fracture sociale, à laquelle l’école n’échappe pas.
Les élèves déclarant habiter dans des logements HLM ont moins confiance en l’école (55 % contre 60 % en moyenne). 55,8 % des musulmans affirmés ont confiance en l’école, contre 64,7 % des catholiques affirmés. Les élèves qui habitent en HLM ne sont, par ailleurs, que 53 % à se considérer comme de bons élèves, alors que la moyenne est de 63 %.
Les adolescents nés hors de l’Union européenne sont aussi plus nombreux (51 %) à s’estimer moins bien traités à l’école, alors que la moyenne est de 40 %. A cette question, les musulmans dits affirmés sont plus nombreux (21,5 %) à répondre “tout à fait” que les catholiques affirmés (16,4 %) alors que la moyenne est de 15,4 %.
Pour les auteurs de l’enquête, “ce surcroît du sentiment d’injustice ressenti dans la communauté musulmane repose, pour une part, sur des expériences de la discrimination et, pour une autre part, sur le filtre que la religion intensément vécue porte sur l’expérience”. C’est “cette forte religiosité” qui pousse les élèves musulmans à “magnifier les indices de traitement injuste”.
Les élèves musulmans vivent à 47,7 % dans des HLM
Sur la base d’autodéclarations, les élèves sont également plus nombreux à reconnaître avoir commis des délits lorsqu’ils habitent en HLM ou qu’ils admettent un absentéisme important. Absentéisme qui est, lui aussi, fortement dépendant de l’origine sociale des élèves. 20 % des collégiens qui vivent en HLM ont été absents, sans excuse valable, 3 fois ou plus sur l’année précédant l’enquête, contre 14 % en moyenne.
Cette analyse sociale nous apprend que les élèves de confession musulmane vivent à 47,7 % dans des logements HLM, contre 14,2 % des athées et 13,9 % des catholiques. Un aspect de l’environnement de ces adolescents que L’Obs a mis de côté pour se focaliser sur le prisme religieux. Et, même sur ce point, le magazine a écarté certaines réponses qui apportent un éclairage différent, comme le fait que la catégorie des musulmans peu affirmés est la plus nombreuse à juger que la laïcité “permet de vivre ensemble, quelles que soient les convictions de chacun” (75,1 %).
Une majorité d’élèves jugent positivement l’école ou l’environnement scolaire
L’Obs omet surtout de mentionner les réserves que les auteurs de l’étude ont mises en avant et le fait que plusieurs questions ont déstabilisé les élèves. Le magazine n’a pas hésité à titrer “L’Islam contre l’évolution” un graphique présentant le résultat de la question sur l’origine des espèces, mais n’a pas évoqué les précisions des auteurs de l’enquête : “Plus d’un quart des élèves [au total, NdlR] pensent que les espèces vivantes ont été créées par Dieu, sans qu’on sache s’il faut toujours y voir le témoignage d’une adhésion explicite à une vision religieuse du monde.”
“Les questions du rapport à l’Etat [la laïcité notamment, NdlR] montrent de nombreuses non-réponses (“Je ne sais pas”), signe que les adolescents ne sont pas certains de leurs préférences”, expliquent les enquêteurs. Ces derniers confient aussi qu’ils ont interrogé les enfants musulmans sur leur appartenance à la mouvance chiite ou sunnite mais que “le nombre élevé d’incompréhensions lors du terrain [les] a amenés à ne pas retenir la distinction par l’analyse”.
En prenant en compte ces réserves et l’ensemble de l’étude, on découvre un panorama qui confirme que l’école est face à un véritable défi, qui dépasse la religion. “Dans l’ensemble, et quel que soit le domaine interrogé, une majorité d’élèves jugent positivement l’école ou l’environnement scolaire. Cependant, les opinions négatives (mauvaise image de l’école mais aussi bagarres fréquentes, etc.) concernent souvent une minorité conséquente d’élèves. C’est le cas, notamment, de ceux qui s’estiment moins bien traités que les autres jeunes.” Un sentiment qui dépend autant de facteurs sociaux que religieux.