L’UEFA a annoncé en 2013 un partenariat avec la Socar, entreprise d’État, société de pétrole azérie dont le nom s’affichera en grand pendant l’Euro en France. Mais, en juin 2015, une association arménienne a dénoncé les manquements de l’Azerbaïdjan en matière de droits de l’homme et de libertés individuelles. Alors, l’UEFA a-t-elle dérogé à des principes d’éthique et de morale ? Éléments de réponse.
Un partenariat qui crée l’émoi et des questions de conscience… D’un côté, la Socar, bras financier du régime d’Ilham Aliyev, président de l’Azerbaïdjan, 119e sur 167 pays dans le dernier “palmarès” de l’ONG Transparency International des pays les plus corrompus au monde. De l’autre, l’UEFA, qui s’est construit sa propre morale, en lien avec ses intérêts économiques et géopolitiques.
En juin 2015, afin de les alerter sur le sujet, une association arménienne a décidé d’écrire à Michel Platini, alors président de l’UEFA, à Noël Le Graët, président de la Fédération française de football, et à Patrick Kanner, ministre des Sports. Un courrier que Le Lanceur s’est procuré.
Courrier du bureau français de la Cause arménienne
Contactée, l’UEFA nous a répondu : “Tout d’abord, il convient de noter que l’UEFA a signé un contrat avec SOCAR (et non pas avec l’Azerbaïdjan). Il est maintenant courant que divers groupes d’intérêts utilisent la tenue d’événements internationaux tels que l’EURO pour parler de leur cause. L’UEFA ne commente pas des questions d’ordre géopolitique mais est à l’écoute de tous les acteurs de la société afin de participer à son amélioration. Le soutien de SOCAR au football européen nous permet notamment de développer des valeurs de respect et de fair-play qui vont bien au-delà des terrains de jeu.”
Le service presse de l’instance européenne a ensuite affirmé que “Michel Platini n’avait jamais reçu la soi-disant lettre que vous mentionnez. Si une telle lettre avait été reçue, une réponse aurait bien entendu été envoyée”. Le courrier a bien été adressé à l’ancien joueur de la Juventus mais le bureau français de la Cause arménienne n’a jamais eu de réponse, ni du triple Ballon d’or ni du président de la Fédération française de football. En revanche, Patrick Kanner a répondu.
Pour Harout Mardirossian, le président de l’association arménienne, la situation mérite quelques éclaircissements : “En réalité, il faut poser la question aux dirigeants de l’UEFA. Ne savaient-ils pas que l’Azerbaïdjan était corrompu ? Tout rendait ce partenariat entre la Socar et l’UEFA non éthique. L’Azerbaïdjan veut se donner une image à l’international et le sport offre un moyen de se racheter une virginité (Jeux européens, grand prix de Formule 1 financé par la Socar, achat du RC Lens, sponsoring dans le monde du football).”
Présent à Bakou lors des Jeux européens en juin 2015, un officiel y va de sa comparaison : “C’est la même question que posaient les Jeux olympiques de Pékin il y a plusieurs années. Chaque pays a ses contraintes de respect des droits de l’homme pour certains, économiques et structurelles pour d’autres… Après, la question à se poser, c’est : on boycotte ou pas ?”
Alors, quelles sont les règles en matière de sponsoring à l’UEFA ? “Nous ne pouvons pas dévoiler de détails concernant le contenu de nos contrats, pour des raisons de confidentialité”, a confié l’organisation sportive. D’après nos informations, aucune clause d’éthique n’y figurerait.
Auteur de Petites leçons de diplomatie (éditions Autrement), Frédéric Encel n’est pas vraiment étonné du double discours proposé par les grandes fédérations sportives internationales. “Au-delà du message habituel – le sport doit être fraternel, combat le racisme –, je constate qu’il y a manifestement avec ce type de sponsors une connivence entre les instances sportives et des régimes à la fois autoritaires et corrompus. Malheureusement, c’est le cas y compris pour le sport français et européen”, déplore-t-il. Avec en arrière-plan actuellement la guerre qui fait rage entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de la question du Haut-Karabakh, querelle concernant un territoire à la frontière entre les deux pays.
“Cette visibilité à travers le sport est aussi utilisée à la reconquête de ce petit territoire… L’Azerbaïdjan compte récupérer ces 4 000 km² peuplés de 200 000 Arméniens, une enclave autonome arménienne au sein de l’Azerbaïdjan sous Staline et dont le statut d’autonomie a été annulé par les Azéris après la chute de l’URSS”, décrypte le géopolitologue français avant de poursuivre : “Le Haut-Karabakh a proclamé son indépendance et, en riposte, l’Azerbaïdjan a entamé une répression très dure. Du coup, le territoire a été défendu par les Arméniens et la guerre a duré de 1991 à 1994 avec une victoire de l’Arménie. En dépit du cessez-le-feu signé en 1994, les Azéris ont toujours affirmé souhaiter reconquérir le territoire par la force, et le budget militaire de l’Azerbaïdjan a d’ailleurs explosé dernièrement. Les tensions sont permanentes dans cette partie du Caucase et à vrai dire, dans cette guerre, grâce notamment aux investissements dans le sport, le président azéri, Ilham Aliyev, espère une complaisance occidentale à son égard.”
Du côté du TEAS, le Cercle européen d’Azerbaïdjan, le contexte n’est pas vraiment analysé de la même manière. “Le Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan et d’ailleurs aucun pays à l’Onu ne reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh, avance Lionel Zetter, le directeur de cet institut basé à Londres. Aujourd’hui, il y a une guerre entre Arméniens et Azéris qui dure depuis près de vingt ans et la diaspora arménienne, très importante en France d’ailleurs, fait en sorte de mettre en lumière des situations qui nous mettent en difficulté, mais les Arméniens de France ont-ils des preuves de ce qu’ils avancent à propos de la Socar ? Sur les critiques affirmant que l’Azerbaïdjan est un pays autoritaire, je répondrai que c’est une jeune nation qui n’a pas une parfaite démocratie mais je constate que ce n’est ni le cas de l’Arménie ni des autres anciennes républiques soviétiques voisines… Et puis, il est impossible de développer une démocratie idéale en tout point à partir du moment où vous êtes en guerre. Est-ce que l’on peut vivre en paix, Arméniens et Azéris ? Oui, ça a été le cas pendant des siècles où l’on vivait côte à côte en toute tranquillité.”
En attendant, un conflit entre deux pays qui a des répercussions sur le plan sportif. En octobre dernier, le joueur de Dortmund Henrikh Mkhitaryan, international arménien, n’a pas fait le déplacement en Azerbaïdjan pour y affronter le club de Qäbälä en Ligue Europa, une décision du club allemand, qui souhaitait protéger son joueur.
Les dirigeants du football arménien ont-ils évoqué ces sujets lors de la dernière visite de Michel Platini à Erevan ? Pas vraiment. D’après Mardirossian, “quand Platini se rend en Arménie, il se rend à la fédération arménienne, avec laquelle on n’a aucun lien” : “En clair, les dirigeants du football arménien veulent faire en sorte de promouvoir le foot dans leur pays plutôt que d’évoquer des sujets conflictuels.”
D’après des sources bien informées, une visite de l’ancien capitaine des Bleus effectuée en compagnie du président de la fédération, Ruben Hayrapetyan, un homme d’affaires aux méthodes un peu “fortes”, qui financerait l’équipe nationale et assez impopulaire dans l’opinion publique locale.
Alors, derrière ces enjeux nationaux, commerciaux et géopolitiques, quel est le rôle de l’UEFA ? Comment pourrait-elle faire évoluer les choses ? Notamment en faisant pression et en attendant de voir de vraies avancées en matière de droits de l’homme avant de signer des contrats de sponsoring avec certains sociétés d’État.
“Aujourd’hui, il y a une vraie complaisance de la part d’institutions internationales qui n’ont plus d’argent et acceptant les ressources de pays comme l’Azerbaïdjan et le Qatar, analyse un fin connaisseur des liens entre sport et politique. Quand l’Unesco organise des séminaires, des conférences sur le sport, elle est bien contente de trouver l’Azerbaïdjan pour les financer, à l’image d’une conférence sur le dopage organisée à Bakou il y a quelques années… Et tout le monde y va, heureux de dormir dans les plus beaux hôtels et les plus belles suites.” D’après un haut dirigeant du football mondial, les Azéris auraient même financé une partie du film sur la Fifa (United Passions) ardemment souhaité par Blatter avant la Coupe du monde 2014.
Mais les choses pourraient enfin évoluer prochainement. Expert international sur la question des droits de l’homme, mandaté par la Fifa, John Ruggie a appelé mi-avril l’instance du football mondial à “finaliser l’intégration des critères des droits de l’homme” pour l’attribution de la Coupe du monde 2026. “La Fifa n’est pas responsable des violations des droits de l’homme par des organisations avec lesquelles elle travaille ou par des pays qui accueillent ses compétitions, indique-t-il. Mais ce qui est de sa responsabilité, c’est qu’elle risque d’encourir les conséquences [de ces abus]” en tant qu’entité organisatrice. Une semaine plus tard, lors d’un forum organisé au Qatar consacré au même sujet, l’instance internationale a annoncé qu’elle serait plus attentive aux conditions de travail sur les stades du Mondial 2022. “Nous avons toujours considéré par le passé qu’il n’y avait pas de lien entre la construction des stades et notre responsabilité. Nous reconnaissons désormais cette responsabilité”, a déclaré Federico Addiechi, chef de la Responsabilité sociale à la Fifa. Qatar, Azerbaïdjan…
Alors, l’UEFA devrait-elle revoir son cahier des charges et y inscrire des principes élémentaires en matière d’éthique et de déontologie ? Les instances sportives internationales ont un rôle d’exemplarité à tenir et de rapprochements entre les peuples à dessiner. Pour l’instant, l’argent, les contrats, le lobbying l’emportent.