Michel, Pascal, Franck… et les autres
Le CPAA –Club Parlementaire sur l’Avenir de l’Audiovisuel- organisait le 13 décembre un petit déjeuner très chic à la Questure de l’Assemblée nationale. Entre croissants et jus d’orange, c’est un délicat concert de louanges, façon petite musique de chambre de Lully, avec Michel Boyon, président du CSA, en chef d’orchestre et Pascal Houzelot, patron de Numéro 23, en « Petit Poucet de la TNT » (sic). Jusqu’au moment où, brisant cette douce harmonie matinale, un convive pose une question : « Messieurs Boyon et Houzelot, vous présentez ensemble Numéro 23 comme une chaîne thématique, culturelle et sociétale, axée sur la promotion de la diversité ; mais TF1 la commercialise comme une chaîne généraliste articulée autour de séries américaines, de magazines et de divertissements. Alors ? Qu’en est-il ? ». Un ange passe, Michel Boyon regarde Pascal Houzelot… lequel, incapable de répondre à la question, finit par lancer, le visage pâle les cheveux en arrière, à l’importun : « Vous êtes agressif ». C’est un peu court, jeune homme…
« Le marché publicitaire va refleurir »
Puis le président du CSA ouvre le bal et se lance dans un discours basse définition dont il a le secret, tout connecté à sa gloire, dans un style ampoulé façon-Pierre-Bergé-censé-bannir-tout-anglicisme-pour-faire-honneur-à-la-langue-française. Les push-girls de Numéro 23 en seraient complètement retournées… (ici) Oui, il a eu raison de croire à la TNT, « avant et contre tout le monde ». Et non, il n’a pas eu tort d’affirmer que la crise était désormais derrière nous et que « le marché publicitaire allait refleurir, parce que, c’est sûr, ça ne peut pas rester comme ça ». C’est à « ça » justement que l’on reconnaît les purs politiques : n’ayant jamais créé un emploi, géré ou même travaillé dans une vraie entreprise, ceux-là n’ont qu’une vague idée de ce que signifie « le marché » et continuent pourtant à faire des prévisions économiques en prenant un air pénétré.
À tu et à toi
« Mon cher Michel, je te remercie pour ce brillant exposé », lui lance tout sourire Franck Riester (ici), député UMP de Seine-et-Marne et co-président du Club, ajoutant, à l’adresse de Pascal Houzelot (ici) , « Mon cher Pascal, tu as maintenant la parole pour nous présenter Numéro 23 ». C’est qu’au Club, on ne privilégie que les intérêts supérieurs (1), tout le monde est ami, se tutoie et s’appelle par son petit nom. Certains arrivent dans la même limousine avec chauffeur. Tout et tous se mélangent : droite, gauche, saint-esprit, pouvoirs législatif et exécutif, ex et nouveaux députés, autorités de tutelle, patrons de chaînes, producteurs pénalisés par l’alternance, commerciaux, dircoms d’entreprises publiques et parapubliques, opérateurs de téléphonie, vieilles gloires de l’audiovisuel, attachés de presse et journalistes de salon, jusqu’au jeune reporter d’images de LCP-La Chaîne Parlementaire, qui passe l’essentiel de son temps à filmer les brocs de jus d’orange et la porcelaine fine de la Questure, en dépit de son look étudié de baroudeur contestataire. Tous ? Je ne vois pourtant guère de noirs et d’arabes –mis à part le personnel de service- ni même de provinciaux, de pauvres ou d’handicapés dans cette noble assemblée prônant ostensiblement « toutes les diversités », jusqu’à en faire une chaîne de télé. Quant aux femmes, il n’y en a qu’une seule à la tribune (représentant 6Ter… et de loin la plus convaincante et la plus sincère). « La France est une démocratie de basse intensité », a pu écrire Edwy Plenel. « Mais les réseaux fonctionnent toujours en courant continu », serait-on tenté d’ajouter.
Une clé USB
Au moment où je lève la main pour signifier que je souhaiterais poser une question, une collaboratrice du président du CSA griffonne en vitesse un petit papier et le remet à Michel Boyon : elle a sans doute écrit un mot du style : « Attention, c’est le type qui a fait les recours au Conseil d’État ». Le petit papier finit son parcours dans les mains de Pascal Houzelot, qui la remercie d’un clin d’œil, laquelle minaude en retour ; quant à Michel Boyon, il penche la tête dans ma direction, avec un regard vitreux. Le lendemain, soit le 14 décembre, je reçois par coursier une clé USB avec un petit mot de ma voisine de table : « J’ai enregistré avec mon smartphone une partie de votre question. Hélas, je n’ai pas le début car j’ai réagi un peu tard. C’était une excellente question, qui n’avait rien d’agressif et que nous sommes nombreux à nous poser ! A bientôt ». Voici donc l’objet du délit. Avec un verbatim comprenant le début de la question (hélas non enregistré) et ré-écrit de mémoire.
Dialogue de sourds
Didier Maïsto : Ma question s’adresse au président Boyon, à monsieur Houzelot et, ça tombe bien, au représentant de TF1 qui vient de s’exprimer dans la salle et dont, vous me pardonnerez, je n’ai pas retenu le nom. Monsieur Boyon, durant votre mandat au CSA, vous avez souhaité faire de la diversité votre cheval de bataille. Monsieur Houzelot, j’ai assisté à votre audition le 8 mars dernier au CSA, vous avez dit, je reprends votre propre expression, « chiche pour le passage à l’acte » et vous avez enfourché ledit cheval, pour une chaîne à vocation culturelle axée sur la diversité.
Une juxtaposition de ghettos
En y regardant de plus près, la représentation nationale s’en est émue et madame Martinel, par exemple, députée et rapporteure pour avis des crédits de l’Audiovisuel, a pu dire que votre projet, plutôt que de promouvoir la diversité, n’était qu’une juxtaposition de ghettos, dont finalement n’étaient exclus que les hommes blancs, bien portants et hétérosexuels. La charge est importante, l’accusation est grave et vous vous êtes défendu en affirmant qu’il n’en serait rien, que ce serait une chaîne ouverte à tous, qui ferait la part belle aux débats et aux échanges, aux documentaires de création, aux oeuvres patrimoniales, qui serait une chaîne thématique et pas du tout une chaîne ghetto. Sur TF1, quand on va sur le site de la régie, quand on est simplement client, l’ex-chaîne TVous la Diversité, qui est devenue Numéro 23, chaîne plutôt neutre dans son titre, est vendue et commercialisée comme une généraliste, comme une mini-généraliste. Alors, est-ce une chaîne culturelle axée sur la diversité ? Ou est-ce une généraliste ? Merci.
———————————————————————————————————-
(S’ensuivent quelques échanges surréalistes et absolument aucune réponse sur le fond, et pour cause…)
Pascal Houzelot : Vous avez regardé, elle a démarré hier soir à 20h30 et il est temps d’en finir avec les procès d’intention. Revoyons-nous dans un mois ou deux et vous pourrez avoir un jugement, disons, fondé.
DM : Monsieur, ce n’est pas un jugement, c’est juste une question.
Franck Riester, gêné, volant au secours de son ami Pascal Houzelot : Bien, une autre question.
DM : D’accord. C’est donc la réponse.
FR : Oui… Non… Mais c’est important effectivement de regarder à l’issue des quelques premières semaines et premiers mois de diffusion, ce qu’il en sera, entre la réalité de ce qui aura été diffusé, des engagements qui auront été pris au moment de la présentation du dossier. Voilà, c’est la réponse, je pense, qui a été faite, je crois, par Pascal.
DM : Donc, TF1 dira à ses clients, « on vous vend une généraliste, mais on ne sait pas ce qu’est cette chaîne en fait ». C’est-à-dire que vous vendez un produit… et vous ne savez pas ce que c’est. Pourtant, en général, TF1… On ne peut pas balayer cette question d’une pirouette, sur le mode « attendez, vous verrez, vous allez voir ce que vous allez voir ».
PH : Je crois monsieur que vous avez été porteur d’un projet qui a été écarté…
DM : Oh… Ca c’est petit, monsieur ! (rires dans la salle.) C’est votre seule réponse ?
PH : Je crois qu’il vaut mieux attendre, regarder les programmes, juger un dossier dont on fait l’exposition aujourd’hui.
DM : C’est votre seule réponse ?
PH : Je ne suis pas là pour polémiquer.
DM : Mais moi non plus monsieur, je suis là pour poser une question, j’attends juste votre réponse, si vous en avez une.
PH : Je crois que cette chaîne est… ce qu’elle est.
DM : Merci de votre réponse.
PH : Vous êtes très agressif monsieur, malgré l’heure matinale.
Dans cet univers de paillettes et de carton-pâte, où les journalistes filment les jus d’orange et où les intervenants se tressent les uns les autres des couronnes de laurier, poser une question simple relève du crime de lèse-majesté. Comme on pourrait le dire chez Canal : La TNT ? Regarboyon mieux.
À suivre…
——————
———————
(1) Bien entendu, j’expliquerai lesquels et dans le détail, dans les prochains épisodes. Ces intérêts sont essentiellement financiers, les divers lobbies autour de la « diversité » –et notamment certains lobbies gay- utilisant l’alibi de la discrimination à des fins commerciales ne disant pas leur nom. Heureusement, certains acteurs du monde de la télé dénoncent les amalgames avec beaucoup de courage, comme par exemple le documentariste Jean-Pier Delaume-Myard, auteur de nombreux documentaires pour France Télévisions et lauréat 1998 du concours de scénarios « L’homophobie en question : Une trilogie », organisé par la LGP Films (ici)