Michel Boyon, président du CSA, fait aujourd’hui la tournée de ses copains patrons de chaînes. Champagne, tapettes dans le dos, regards complices et comptes à rebours. C’est que la journée est historique : si l’ancien directeur de cabinet de François Léotard et de Jean-Pierre Raffarin (1) n’a pas réussi à prolonger son mandat à la tête de l’autorité régulatrice, elle-même en sursis, il entend bien rappeler que les six “nouvelles” chaînes gratuites de la TNT (2), qui émettront à partir d’aujourd’hui – soit le 12/12/12 à 12h, selon sa douce volonté- constituent son grand œuvre. Opus magnum… ou presque. Car les téléspectateurs du Rhône (3), qui seront servis les derniers, devront patienter jusqu’en 2015. Du coup, une question les assaille : si la fin du monde se produit vraiment dans neuf jours, vont-ils mourir plus intelligents ? Bref inventaire pré-apocalyptique, au cas où les Mayas seraient plus forts que Boyon et Paco Rabanne réunis.
Chérie 25.
Les hommes et les enfants n’auront pas le droit de la regarder car c’est la chaîne concoctée tout exprès par Jean-Paul Beaudecroux, le patron d’NRJ, pour les femmes. Mais attention, pas pour n’importe lesquelles, pour “les femmes plurielles et multiples”, précise Christine Lentz, la directrice des programmes. Si la chaîne se veut “informative”, elle n’aura pas de journal télévisé. Pour autant, Chérie 25 parie sur des “programmes forts”. Et met en avant le magazine 10 ans de moins, “une émission 100% astuces, 0% bistouri”, 99% plaisir, “une émission qui s’intéressera aux arts de la table, à l’évasion et aux plaisirs de la vie en général” ou encore Roxanne ou la vie sexuelle de ma pote, “un format court de trois minutes, original et gonflé, qui raconte la vie et les ratés amoureux d’une trentenaire célibataire à la recherche de l’homme idéal”, toujours selon la directrice des programmes, qui s’est confiée à Terrafemina.
RMC découverte.
C’est la chaîne hyper low cost des documenteurs et le robinet à images et à testostérone version Alain Weill. Tout le monde aura le droit de la regarder, y compris le populiste Bourdin et les ex-journalistes de La Tribune, qui désormais ont pas mal de temps à tuer et qui pourront toujours envoyer leur CV à la chaîne. Tout le monde, sauf les femmes, les enfants et les daltoniens, lesquels risquent la schizophrénie, car, grande innovation, non seulement “les programmes seront forts” mais ils se déclineront en couleurs. Univers vert : “Brady Barr approchera les reptiles ou animaux dangereux en tous genres”. Univers rouge : “Stan Lee et Daniel Browning (l’homme le plus souple du monde) feront le tour de la planète à la recherche de personnes aux dons extraordinaires”. Univers jaune : ce sera la séquence intellectuelle (car même les hommes body-buildés ont un cerveau) et le retour tant espéré de Karl Zéro, lequel, muni des mêmes lunettes mais un peu plus chauve, va “essayer de répondre aux questions que peut se poser le téléspectateur”.
Numéro 23 (et déjà ex-future TVous la Diversité).
Ce serait, d’après Michel Boyon, la chaîne que tous les Français attendaient depuis toujours, le passage à l’acte du cheval de bataille du CSA, l’étalon de la diversité, et un large public pourrait a priori la regarder. “A l’exception de l’homme blanc, bien portant et hétérosexuel”, rétorque néanmoins la députée socialiste Martine Martinel, rapporteure pour avis des crédits de l’audiovisuel. En réalité, il est encore trop tôt pour savoir si cette chaîne sera, comme l’a juré son concepteur Pascal Houzelot, créateur de Pink TV, “une chaîne thématique aux programmes forts axés sur la diversité des origines et des cultures”, ou si elle sera plutôt une “mini-généraliste dont la grille des programmes s’articulera autour de séries, de fictions, de magazines et de divertissements”, comme l’affirme sur son site TF1 Publicité, chargée de commercialiser Numéro 23.
L’Équipe 21.
C’est la chaîne que tout le monde pourra regarder, à l’exception notable de ceux qui s’intéressent au sport. Impossible en effet d’y suivre en direct un match de football ou de rugby, un meeting athlétisme, de la Formule 1, Roland Garros ou les J.O. Lionel Rosso, ancien journaliste de Canal et “nouveau visage de L’Équipe 21” n’en sait guère plus sur les programmes. Interviewé par… L’Équipe, il tient toutefois à préciser : “On va faire de la télé tous ensemble et cette force-là est déjà palpable. Les gens qui vont nous regarder vont ressentir cette force, cette envie. On pourra retrouver des programmes forts tout le temps. 24h/24 ! C’est une chaîne d’info qui se renouvelle sans cesse, qui a la vocation et l’ambition de donner des informations nouvelles régulièrement, avec des tranches fortes”. Une chaîne d’info forte, donc, où le seul “sport” qu’on pourra suivre en direct, serait, d’après les informations de Lyon Capitale, le tiercé, le quarté et le quinté plus.
HD1.
Pas grand chose à dire, c’est la fifille à TF1, qui y testera ses idées : si une idée marche, elle sera clonée en temps de cerveau disponible chez maman. A priori, cette “chaîne de toutes les histoires” pourra intéresser tous les publics et n’en seraient exclus que les extra-terrestres et les sujets au Q.I. supérieur à 62 et/ou à la capacité crânienne supérieure à 1225 cm3.
6 Ter.
Pas grand chose à dire non plus, c’est la fifille à M6. Même principe que HD1, cette généraliste assumée “vise un public familial, une ligne éditoriale qui n’existe pas encore sur la TNT”, affirme à e-marketing Catherine Schöfer, directrice générale adjointe de la chaîne. 6 Ter serait novatrice en ce sens qu’elle s’apprécierait mieux si toute la famille, grands-parents compris, la regardait simultanément dans la même pièce. M6 appelle ça “l’écoute conjointe” pour une “télé à partager”.
Vous aimez la TNT ? Vous reprendrez bien six petites chaînes ! C’est fin, ça se mange sans faim et c’est offert de bon cœur par la puissance publique. Et puis, ça tombe bien, vous qui vous disiez encore hier soir qu’il vous manquait quelque chose pour descendre les poubelles… Parce que, monsieur Boyon, quand c’est con c’est con, même en haute définition.
(1) Directeur de cabinet de François Léotard au ministère de la Culture et de la Communication en 1986-1988, il est l’artisan de la loi qui a permis la privatisation de TF1. Chargé par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin d’une mission sur la TNT, puis d’une mission d’accompagnement de la mise en place de la TNT (2002 – 2003), il est nommé directeur de cabinet de ce dernier à Matignon du 28 octobre 2003 au 1er juin 2005. Président d’une autorité administrative vidée de sa substance depuis que Nicolas Sarkozy l’a privée de son pouvoir de nomination des patrons de groupes audiovisuels, Michel Boyon, réputé d’une soumission totale aux caciques de l’UMP, est régulièrement critiqué pour son absence de courage et son manque d’indépendance. Jusqu’au bout, il a cru à la réélection de Nicolas Sarkozy. Il a ensuite essayé de se rapprocher de François Hollande, sans succès.
(2) Par souci d’honnêteté et de transparence, il est utile de préciser que l’auteur de ces lignes, ayant participé à l’appel à candidatures du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel du 18 octobre 2011 (Projet D-Facto, la chaîne docs et débats), a déféré à la censure du Conseil d’État l’ensemble des autorisations délivrées selon des critères pour le moins contestables le 3 juillet 2012 et publiées le 19 juillet 2012.
(3) Mais aussi ceux de l’Ain, de l’Ardèche, de la Loire et de la Drôme.