Aux États-Unis, l’establishment républicain commence à flipper sérieusement depuis qu’il a réalisé que Trump filait tout droit vers l’investiture du parti d’Abraham Lincoln. Le New-Yorkais explose tous les codes et ses sept victoires du Super Mardi lui confèrent une avance confortable.
Trump s’amuse comme un fou, à la différence que, fou, il ne l’est pas. Trump, c’est l’absence totale de surmoi, une sorte de tribalité qui s’exprime dans l’instant, sans calcul. Un peu comme Jean-Marie Le Pen à une époque, qui se moquait complètement du pouvoir et aurait tout sacrifié pour un bon mot (tout, sauf sa fortune, nom d’un cheval).
Complètement tétanisés, Mitch McConnell, leader républicain au Sénat, et Paul Ryan, leader de la chambre, ont mis plusieurs jours avant de dénoncer, en début de semaine, la lenteur de Trump à se distancer de Duke, un ex-leader du Ku Klux Klan.
Les candidats républicains n’ont rien fait non plus, se contentant de répéter moins fort ce que Trump hurlait sous sa banane platine. C’est tout le problème : Trump leur a tendu un piège, en allant puiser dans quelque chose de fondamental chez l’être humain, à savoir son animalité. Car, oui, nous sommes aussi des animaux – et pas seulement des bébés phoques. Le pape François l’a bien compris, qui a réagi avec force sur le bon registre. In God they trust.
Chez les Républicains, le mot d’ordre “tout sauf Trump” est ainsi complètement inefficace. Car Trump est dans le ça (bien décrit par Freud) qui ne connaît pas le refus et n’est pas soumis à la réalité externe. Les pulsions exercent ainsi toute leur force. En votant pour le milliardaire, c’est la “droite décomplexée” qui avance, pour reprendre la terminologie Sarkozy-Copé.
Des deux côtés de l’Atlantique
Nous avons connu le même phénomène en France avec Nicolas Sarkozy. Identité nationale, racaille, pédophilie atavique, nettoyage au Karcher, homme africain absent de l’histoire, prééminence du prêtre sur l’instituteur, c’est une vision hystérisée de la société qui a sans cesse été mise en scène. Le pire, c’est que Nicolas Sarkozy n’a pas perdu à cause de ça, mais parce que ce “ça” n’a pas été mené à terme.
Il y a quelque chose de jouissif dans la transgression, que la morale, l’éthique, la bonne éducation, la conscience (appelons cela comme on veut) tentent de réprimer. On a un cerveau quand même, non ? Et puis on est le pays des Droits de l’homme… Oui, mais voilà, la quadrature du cercle pour les Républicains – et c’est valable des deux côtés de l’Atlantique – c’est de continuer à flatter les instincts les plus vils de leur électorat, sans perdre leurs électeurs plus modérés, lesquels sont souvent plus riches et mieux intégrés.
Du coup, le risque est réel de perdre tout ce petit monde en route et d’ouvrir un boulevard à ceux qui n’ont pas ces crises de conscience, ces “pudeurs de jeune fille”, pourrait dire Donald Trump. Panique à bord ! Et si en France un Trump émergeait, venant de nulle part ? L’idée fait son chemin, depuis qu’un récent sondage nous a appris que 78 % des Français étaient prêts à voter pour n’importe qui, pourvu qu’il ne soit pas issu du sérail politique…
Sarkozy ne peut nous rejouer la même partition (il serait plutôt aujourd’hui dans la contrition). Le Maire, Juppé, Fillon ? Impensable ! Ils sont trop raisonnables et trop propres sur eux. Marine Le Pen ? À force de se “dédiaboliser”, elle aura du mal à exercer ce rôle.
Mais au fait, de quel rôle s’agit-il ? On pense évidemment aux Amis du mensonge ou l’incrédule, de Lucien de Samosate, écrivain grec de l’Antiquité, ou encore de L’Apprenti sorcier de Goethe. Manches à balai, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force de voter ?