Karim* (38 ans) est chauffeur Uber à Paris et en région parisienne. Couvert de dettes, épuisé, il renonce. Il témoigne sur fond de mobilisation des VTC, de négociations au point mort avec Uber et de l’annonce par l’entreprise californienne de la création d’un fonds de soutien aux chauffeurs doté de 2 millions d’euros.
“J’avais un métier. J’étais chauffeur routier, pour First Logistique. Puis j’ai vécu un licenciement économique. J’ai alors envisagé de me reconvertir en chauffeur privé. C’était simple : en tant que chauffeur routier, je pouvais avoir une équivalence en VTC. C’était alléchant : Uber promettait 8.000 euros de chiffre d’affaires par mois, dès que nous acceptions plus de 75 courses et que nous nous connections entre 19h et 2h puis de 5h à 9h. En septembre 2014, je me suis donc inscrit chez Uber.
Dans un premier temps, j’ai été prudent. J’ai commencé à louer une voiture pendant près de neuf mois, afin de ne pas m’endetter tout de suite. Je gagnais 6.000 euros de chiffre d’affaires. Cela peut sembler beaucoup aux yeux de ceux qui se lancent. Mais ma location de véhicule me coûtait 2.600 euros par mois. Je dépensais également 600 euros de gasoil et je versais 400 euros au RSI.
En octobre 2015, les tarifs ont chuté”
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J’arrivais alors à dégager 2.400 euros de salaire brut en moyenne. Cela représentait 1.800 euros nets. Je ne comptais pas mes heures ; je travaillais les nuits ; mais j’avais de quoi vivre. Comme cela fonctionnait à peu près, j’ai décidé d’acheter une voiture à crédit. Je pensais qu’investir me permettrait de mieux m’en sortir.
Cependant, en octobre 2015, la guerre des prix menée par Uber [notamment face aux taxis et aux autres plateformes qui se développaient, NdlR] a commencé. Les primes sont devenues plus rares. La concurrence entre chauffeurs s’est accrue. Les tarifs ont chuté. Pour un temps de travail similaire, mon chiffre d’affaires moyen de 2016 est tombé à 2.000 euros. Désormais, je n’arrive même plus à payer mes dettes liées à mon activité professionnelle. Je dois près de 12.000 euros à l’Urssaf et 10.000 euros à ma banque, notamment pour l’achat de ma berline. Des huissiers ont déjà commencé à m’envoyer des lettres de relance inquiétantes.
Avec une telle dette, je suis coincé dans un engrenage”
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Avec une telle dette, je suis coincé dans un engrenage. Je ne gagne rien et je ne peux pas m’arrêter. Je me lève chaque matin pour tenter de régler le maximum de factures. Je travaille sept jours sur sept, en craignant chaque jour un peu plus de m’endormir au volant. Je suis épuisé. Surtout, je me sens coupable de ne pouvoir subvenir aux besoins de ma famille. Je me sens doublement coupable, même, car ce métier m’empêche de la voir.
Je me sens aussi vraiment naïf. Uber m’a promis des revenus fantastiques, une belle voiture, la possibilité de devenir mon propre patron… C’était le rêve américain et j’ai voulu y croire. J’y ai cru. Je me suis acharné. J’étais dans le déni. Mais, là, je renonce. Je tiens jusqu’à la fin de l’année et j’arrête là.
Uber a détruit ma vie”
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J’ai retrouvé un poste de chauffeur routier pour 2017. Cela me permettra de reprendre un travail de salarié, de faire des heures qui sont véritablement payées, de ne plus vivre dans la peur d’une mauvaise note de la part d’un client…
Malgré cette opportunité pour la nouvelle année, Uber a détruit ma vie. Je souhaite en parler aujourd’hui pour prévenir les jeunes de banlieue, démarchés par Uber, qui peuvent être tentés par l’aventure. Le 15 décembre, lors de la mobilisation des VTC à Paris (organisée par le syndicat UNSA, et les associations CAPA VTC, Actif VTC et VTC de France), j’y étais pour faire passer ce message. Il est temps de m’exprimer.”
* Son prénom a été modifié pour préserver son anonymat.
La réponse d’Uber, par Grégoire Kopp, directeur de la communication d’Uber France
“Les tarifs proposés sur l’application font d’Uber l’application disponible la plus rentable pour les chauffeurs qui l’utilisent. Les récents changements tarifaires mis en œuvre début décembre leur offrent même un gain de 5% de chiffre d’affaires. Ils permettent aussi à Uber [la commission passe de 20 à 25%, NdlR] de disposer des moyens pour continuer d’investir et assurer la pérennité de l’entreprise.
Malgré cela, nous constatons que certains chauffeurs peuvent se retrouver en difficulté, à cause de problèmes de gestion, notamment en faisant le choix de véhicules ou d’assurances trop chers. D’autres sont dans cette situation car ils sont employés de capacitaires LOTI peu scrupuleux, qui laissent leurs employés en fin de chaîne dans une situation délicate. Pour notre part, nous n’avons aucun intérêt à ce que certains de nos partenaires soient en difficulté ou mettent la clé sous la porte.
“Nous allons offrir un accompagnement aux chauffeurs pour optimiser leurs coûts”
C’est pour aider ces chauffeurs en difficulté que nous avons annoncé, cette semaine, créer un fonds de soutien de 2 millions d’euros [les modalités d’allocation ne sont pas encore connues, NdlR]. Ce fonds va nous permettre d’aider les chauffeurs VTC en difficulté à assainir leurs comptes et à mieux gérer leurs entreprises. Pour les employés de LOTI, nous les aiderons à trouver un employeur plus vertueux ou à devenir VTC indépendants eux-mêmes. Enfin, nous allons offrir un accompagnement aux chauffeurs pour optimiser leurs coûts.
Le mouvement des VTC du 15 décembre pose en effet de bonnes questions. Mais le conflit actuel est dirigé par les mauvaises personnes, pour de mauvaises raisons. La volonté des leaders est de faire monter les prix pour repositionner le VTC à un niveau tarifaire bien supérieur au taxi. Ils savent pertinemment que cela limiterait la clientèle et donc le nombre de courses. Selon nous, cela aurait pour résultat de mettre les chauffeurs en difficulté définitivement sur la paille.”