Les révélations de la Cour des comptes quant au train de vie des dirigeants de l’ordre national des chirurgiens-dentistes ont jeté le discrédit sur cette organisation. Soucieux de le nettoyer de ses éléments peu scrupuleux pour le réformer en profondeur, plusieurs professionnels viennent de déposer une plainte pénale contre X. Lui-même floué par le fonctionnement improbe de l’ordre, l’ex-dentiste, désormais avocat, Rudyard Bessis, défendra leurs intérêts.
Un ordre professionnel carié de pratiques moins éthiques les unes que les autres. La Cour des comptes livrait en début de mois un rapport affligeant sur le fonctionnement de l’ordre national des chirurgiens-dentistes. D’après les Sages de la rue Cambon, les responsables profitent de la très bonne santé financière de l’organisation pour faire flamber les cotisations des quelque 48.000 professionnels cotisants – dont 4.000 retraités – en “pratiques dispendieuses”. Préférant payer des voyages d’agrément dans des stations thermales et des cadeaux onéreux aux membres du conseil national que mettre en place un système efficace de contrôle de déontologie, pourtant la mission première d’un ordre professionnel. À ces abus présumés s’ajoute un manque d’indépendance des magistrats chargés des procédures juridictionnelles. C’est ainsi que Rudyard Bessis avait été radié de l’ordre en 2008 par un magistrat payé par l’ordre lui-même. Une sanction confirmée en appel l’année suivante, avec les mêmes pratiques douteuses en toile de fond. Pratiques que Lyon Capitale et Rudyard Bessis avaient dénoncées, se voyant pour cela poursuivis en diffamation, puis relaxés au bénéfice de la preuve.
En contravention avec les textes applicables, plus de la moitié des conseils régionaux de l’ordre versent une rémunération aux présidents de chambres disciplinaires”
Autant de dérives qui ont conduit des professionnels “en exercice depuis plusieurs dizaines d’années” à déposer plainte contre X par l’intermédiaire de Rudyard Bessis. Une plainte dont les motifs reprennent largement “les doléances de la Cour des comptes”, explique l’avocat. Elle pointe des abus de confiance présumés d’abord, car “quand ils versaient leurs cotisations les professionnels n’auraient pas imaginé que c’était pour payer des voyages aux responsables”, des suspicions de détournement d’argent public ou privé ensuite et, finalement, des présomptions de corruption. Lesquelles se cristallisent sur les procédures disciplinaires, comme l’écrit la Cour des comptes : “En contravention avec les textes applicables, plus de la moitié des conseils régionaux de l’ordre versent une rémunération aux présidents de chambres disciplinaires.” Rémunération jugée “irrégulière” par les Sages. L’objectif est de “poursuivre cette affaire jusqu’au bout de la réforme à réaliser dans ce monde ordinal de répression et d’omerta”, explique Armand Oiknine, le président du syndicat Dentistes solidaires et indépendants (DSI). “Nous ne voulons pas supprimer l’ordre, nous voulons le réformer”, poursuit-il. Sollicité à plusieurs reprises, l’ordre national des chirurgiens-dentistes n’était pas disponible pour nous répondre.
“Les syndicats ne bougeront pas”
Dans ce combat qui s’annonce, les plaignants savent qu’ils ont affaire à un ogre, dont la puissance, financière notamment, peut les terrasser. “L’ordre nous a harcelés de plaintes […] son objectif était de nous ruiner tous et nous faire taire”, raconte Armand Oiknine. “Ils ont une telle puissance que vous ne pouvez pas parler sans qu’ils vous le fassent payer, enchaîne-t-il. Rudyard Bessis a parlé, il a payé.” Et les syndicats ne seraient d’aucun secours pour combler ce déséquilibre, puisque présumés à la solde de l’ordre. Lequel a par exemple réglé en 2012 la facture de la campagne “Sauvons nos dents”, organisée par trois syndicats, pour un montant de 1,2 million d’euros. D’après Rudyard Bessis, de nombreux responsables de l’ordre seraient issus du principal syndicat de la profession, à savoir la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD). “Les syndicats dentaires ne bougeront pas, soit parce qu’ils ont participé à cette gabegie, soit parce qu’ils ont fait allégeance à l’ordre en acceptant leurs méfaits” présumés, écrit Armand Oiknine, appelant à la création d’un comité de défense. Dans son appel “Pour l’honneur de la profession” diffusé à 15.000 professionnels, il demande une réforme de l’ordre et de sa justice disciplinaire, mais aussi “une totale transparence de la comptabilité” ainsi que le remboursement des “sommes détournées” et la poursuite en justice des “profiteurs”.
Ils ont une telle puissance que vous ne pouvez pas parler sans qu’ils vous le fassent payer”
“Ils se sont totalement gavés, s’indigne Rudyard Bessis. Ils sont dans la même maison depuis vingt ans, c’est le système qui a pourri les hommes.” La Cour des comptes soulignait d’ailleurs le manque de renouvellement des responsables et les pratiques de cooptation qui président à l’avancement au sein de l’ordre. “Ce sont les mêmes qui sucrent, qui se servent, qui augmentent les cotisations alors que cela n’a pas lieu d’être”, abonde Armand Oiknine. En effet, les caisses de l’ordre sont bien remplies, comme le soulignait la Cour des comptes. Sans compter son patrimoine immobilier, évalué à 50 millions d’euros. Pourtant, les cotisations ne cessent d’augmenter. La faute aux tarifs des tour-opérateurs ?