De peur d’avoir une “sorte de curée contre la vaccination”, le ministère de la Santé a refusé que le débat sur les vaccins soit organisé par l’instance consultative dont la mission est pourtant d’organiser des débats publics à propos de la politique de santé : la Conférence nationale de santé (CNS). Le romancier Thomas Dietrich, ex-secrétaire général de la CNS, dénonce également l’insistance du cabinet de la ministre pour relire et modifier ses avis avant leur publication. En février dernier, il a claqué la porte de la CNS pour ne pas participer plus longtemps à l’“hypocrisie d’une instance consultative fantoche”, regrettant “un déni de démocratie”. Entretien.
Le Lanceur : Êtes-vous un lanceur d’alerte ?
Thomas Dietrich : J’ai seulement fait mon devoir de fonctionnaire, c’est-à-dire dénoncer ce qui ne me paraissait pas normal et contraire à l’intérêt public. D’ailleurs, si plus de gens le faisaient, ce serait bien. La CNS est une sorte de Parlement de la santé. Il y a de toutes les composantes : des élus, des usagers, des patients et des professionnels de santé. Cette instance est notamment censée permettre des retours de terrain, puisque les personnes qui y siègent bénévolement sont dans des cabinets médicaux, des hôpitaux, etc. La CNS est donc censée aider à orienter les politiques de santé en donnant des avis et en organisant des débats publics. Normalement, c’est indépendant, c’est-à-dire qu’il y a l’élection d’un président et que la conférence peut rendre les avis qu’elle souhaite. La ministre peut suivre ou ne pas suivre ces avis, elle en fait ce qu’elle en veut. Sauf que c’était plus pervers que cela.
C’est-à-dire ?
Je suis arrivé à ce poste, un peu idéaliste, en me disant qu’on allait faire fonctionner cette conférence. En plus, nous étions en pleine période de la loi Santé. Je n’étais pas membre de la CNS mais secrétaire général, en charge de l’animation de l’instance. Il y avait alors beaucoup d’activité, la loi Santé, d’une part, mais nous devions aussi organiser un grand débat public sur la vaccination, notamment parce qu’il y avait beaucoup de questions à ce sujet. En fait, le jeu était biaisé. La ministre a commencé à vouloir relire les avis de la Conférence nationale de santé avant qu’ils ne soient publiés, notamment pour expurger les passages qui ne convenaient pas à son cabinet ministériel. Concernant le grand débat public sur la vaccination, le format que j’avais monté était jugé trop indépendant, l’organisation a donc été retirée à la Conférence nationale de santé pour la transférer à l’Agence nationale de la santé publique (ANSP), une agence sous tutelle de l’État qui, en parallèle, fait de la publicité pour les vaccins.
La consultation allait être beaucoup plus large que celle qui a finalement été faite”
En réponse à une pétition critique d’un médecin anti-vaccins, Marisol Touraine avait déclaré en mai 2015 : “La vaccination, cela ne se discute pas.” Le format que vous aviez monté donnait-il une forte parole à des militants anti-vaccins ?
La CNS, c’était des représentants d’un peu tous les acteurs du monde de la santé, donc de manière globale, au contraire, ce sont plutôt des gens pro-vaccins, même s’ils ont des réserves. Il y avait par exemple une association, E3M, qui dénonce les méfaits des aluminiums dans les vaccins. La CNS était organisatrice du débat public, elle allait s’exprimer et surtout la consultation allait être beaucoup plus large que celle qui a finalement été faite. Il était aussi prévu un jury de citoyens et un jury de professionnels de santé qui était en dehors de la CNS. Mais la question n’était pas de s’exprimer pour ou contre la vaccination, mais de constater qu’il y a des problèmes inhérents et une baisse du taux de couverture vaccinale afin d’organiser un débat qui permette à toutes les parties de s’exprimer pour trouver une solution. C’est mon propos. Finalement, cela n’a pas été fait puisqu’on a fait à la place une sorte de débat biaisé. En revanche, j’ai été beaucoup récupéré par ce fameux professeur Henri Joyeux à l’origine de cette pétition [radié de l’ordre des médecins pour ses positions sur la vaccination, NdlR], alors que je ne partage pas du tout son idéologie.
Onze mois après la prise de votre poste, vous démissionnez et remettez un rapport, “Démocratie en santé : les illusions perdues” (à lire ci-dessous). Vous y expliquez que le choix de laisser l’organisation du débat sur le vaccin à l’Agence nationale de la santé publique est éminemment politique, en soulignant que le président du comité d’orientation du débat, Alain Fischer, a été un membre éminent du comité de campagne de Martine Aubry lors des primaires socialistes de 2011, elle-même très proche de Marisol Touraine. De quoi avait peur le ministère de la Santé en refusant l’organisation de ce débat par la CNS ?
Le ministère avait peur que ce débat libère la parole. En fait, il y avait surtout la peur d’une sorte de curée contre la vaccination qui soit orchestrée par les ligues anti-vaccinales, qui, soit dit en passant, sont assez virulentes, voire violentes. De mon côté, j’ai toujours dit que tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie. Le but était d’organiser un vrai débat, pour qu’on pose les bonnes questions et qu’on arrête d’avoir une baisse de la couverture vaccinale. Donc, après m’être engueulé tous les quatre matins avec ma hiérarchie et avoir eu des réunions à ne pas en finir, j’ai effectivement quitté mon poste et j’ai écrit un rapport. Je n’ai pas rendu ce rapport public mais je l’ai envoyé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), ainsi qu’aux membres de la Conférence nationale de santé. Je pense que ce qui a pu toucher à la lecture de ce rapport, ce n’est pas tant une critique du fonctionnement du ministère ou de la Conférence nationale de la santé que le fait que les citoyens étaient dépossédés de leur parole. C’est-à-dire que, très clairement, on ne les écoutait plus et ils n’étaient pas pris en compte. La construction des politiques publiques est faite de manière complètement autiste, sans retour de terrain, et on ne peut plus agir comme cela. Les personnes ont des choses à dire, même ceux qui ne sont peut-être pas des experts.
Comme pour tous les comités Théodule, les gens se désintéressent parce qu’ils sentent que ça ne sert à rien”
Votre rapport a ensuite fuité. Vous expliquez pourtant avoir eu la volonté d’alerter en interne. Que s’est-il passé ?
Je pense qu’au sein de la Conférence nationale de santé il y avait des membres qui n’aimaient pas trop Marisol Touraine et qui ont donc fait fuiter mon rapport. Mais ce n’est pas la seule explication. Je pense que ce rapport rejoignait un certain nombre de préoccupations de représentants de personnes en situation de handicap et de professionnels de santé qui ne se sentaient pas du tout écoutés et qu’on faisait participer à des instances consultatives fantoches. Quand vous faites venir des gens de Guyane ou de Martinique en avion, qu’ils doivent payer leur taxi depuis l’aéroport, que vous faites venir des personnes en fauteuil avec leurs accompagnateurs, que des personnes prennent des journées de congé pour venir à la CNS et que finalement ils ne sont pas écoutés, cela s’apparente pour moi à se foutre de leur gueule. Supprimer ces instances, cela a au moins le mérite d’être clair sur la volonté de vouloir des avis et des idées qui sont maillés à la verticale, mais on ne fait pas de l’hypocrisie en organisant un semblant de démocratie sanitaire.
Depuis votre départ, la Conférence nationale de santé a-t-elle repris des activités ?
La CNS existe, mais il n’y a plus aucune activité visible sur son site Internet depuis que je suis parti. Idem pour l’activité du compte Twitter, que j’avais créé au départ. La présidente de la CNS, avec qui je m’entends bien, aurait pu reprendre l’activité et s’exprimer dans la presse en tant que représentante d’usagers pour dire ce que la CNS revendique, mais elle ne l’a pas fait, ce qui a pu sans doute participer au fait que la CNS a coulé depuis.
À la base, cette instance est créée en 1996 par les ordonnances Juppé. Une fois par an, les membres de la CNS se réunissaient pour donner un avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ensuite, pendant quatre ans, la CNS n’a plus eu d’activité, avant d’être remise en place dans sa forme actuelle par la loi de 2004. Au départ, l’instance était dédiée à la santé et ce n’est que plus tard que le gouvernement a intégré le médico-social et le social avec des représentants des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il y a 120 membres titulaires, qui ont chacun un suppléant, ce qui fait 240 personnes. C’est une représentation très large. Le problème aussi c’est que, comme pour tous les comités Théodule*, les gens se désintéressent parce qu’ils sentent que ça ne sert à rien. Et puis, d’autre part, les organismes présents à la CNS font eux-mêmes leur propre lobbying.
Si on crée des comités consultatifs, c’est quand même pour qu’on aille dans notre sens !”
Selon vous, ce type d’instance permet-il avant tout de faire des coups de communication ?
En France, il y a une tendance à multiplier les comités pour montrer que l’on crée des trucs. Par exemple, le Ministère avait créé la “grande conférence de santé”. Pendant un mois, j’ai reçu des appels de journalistes qui me demandaient s’ils étaient bien à la “grande conférence de santé”. Je leur répondais que non, qu’ici c’était la petite, ou la normale, comme vous voulez. En fait, la grande conférence de santé ne regroupait que des médecins. Ils inventent par exemple aussi l’“institut pour la démocratie en santé” à qui l’État donne de l’argent. Cela permet de faire des effets d’annonce sur la création de comités consultatifs. C’est de la communication et cela noie le poisson, car finalement on ne sait plus qui est représentatif de qui. Plutôt que de créer des commissions sans arrêt, il vaudrait mieux n’avoir qu’une seule instance de consultation : une dans le domaine de la santé, une dans le domaine de l’environnement et une dans le domaine du travail, avec une liste de consultations obligatoires. Mais c’est sûr que c’est beaucoup moins sexy qu’une venue de ministre pour annoncer la création d’un énième comité consultatif.
Les avis de la Conférence nationale de santé posaient-ils problème ?
La ministre s’était notamment fâchée sur un avis à propos de la fin de vie parce que nous ne l’avions pas fait relire par son cabinet avant de le publier. Elle trouvait que la loi était trop critiquée dans ce dernier. Pour le ministère, la parade consistait à dire qu’il y avait déjà suffisamment de critiques en externe pour ne pas en avoir en interne, mais aussi que “si on crée des comités consultatifs, c’est quand même pour qu’on aille dans notre sens”. Moi, je me faisais sermonner car je reconnaissais la parole des membres de la CNS, je ne faisais que transcrire leurs avis. Et en faisant cela, je me suis fait entendre dire que je “faisais la révolution”.
* Comité Théodule : comité qui n’a que peu ou pas d’utilité dans les institutions françaises. L’expression vient d’une parole de Charles de Gaulle prononcée en 1963 : “L’essentiel pour moi, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, c’est ce que veut le pays.”
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